Bibliothèque - Textes divers

René Char le juste

Texte de d'André Rousseaux

Paru dans Littérature du XXe siècle, Volume 7 - Albin Michel - 1961


La poésie domine le siècle. Elle a dressé sur son seuil les hommes qui l'ont mis en marche, de Claudel à Péguy, de Valéry à Apollinaire. La plus grave révolution spirituelle qui l'ait soulevé, la révolution surréaliste, est une révolution poétique. L'histoire a pu commencer d'ouvrir ses sarcophages à ces grands hommes et à ces grands événements. Elle ne saurait empêcher que leur vie continue de nous animer. «Je cherche un homme», disait le sceptique. Qui ne reprendrait cette recherche à son compte, dans notre monde déshumanisé ? Or, à qui est saisi de cette inquiétude, il apparaît bien que l'homme le plus vrai, le plus sain, le plus neuf, le seul peut-être qui puisse aujourd'hui nous communiquer un peu de vérité rénovatrice, c'est le poète.

C'est en ce sens que Pierre Berger, en nous offrant un volume consacré à René Char (Paris, 1951) est fondé à formuler cet avertissement : «Cet ouvrage n'a d'autre prétention que de dire, le plus humainement possible et sans aucun souci d'exégèse ce qu'est un poète dans un monde en délire, dans un monde meurtrier.»

Faut-il regretter que, faute de ce «souci d'exégèse», l'essai de Pierre Berger n'explique pas assez l'oeuvre de René Char à qui n'y est pas encore initié ? C'est vrai : les pages de Berger n'ont à peu près rien d'un commentaire. Elles ressemblent beaucoup plus au monologue d'une voix parallèle à celle de Char : la liaison avec la poésie de Char ne s'établit pas ainsi par analyse mais par résonance. N'est-ce pas mieux, après tout, quand il s'agit de poésie ? Ce que Pierre Berger tend à nous faire sentir avant tout, c'est la valeur humaine sans laquelle il n'y a pas d'expression littéraire qui ne soit vanité des vanités.

Cela peut se faire d'ailleurs par un moyen grandiose, auquel Berger ne manque pas d'avoir recours : c'est-à-dire en évoquant quelques grands noms qui fournissent, non pas les sources (faut-il dire que nous sommes loin ici des méthodes lansoniennes ?), mais, pour employer une tout autre image, la longueur d'onde selon laquelle les rythmes de la vie de Char révèlent leurs vibrations. On parlera par exemple d'Héraclite pour commencer, et non pas tant du philosophe que du poète, c'est-à-dire du sage pour qui la poésie est le seul langage qui puisse dire la sagesse. Et puis on retiendra la justesse de cette observation de Pierre Berger, à propos d'un des livres de René Char : cet ouvrage, dit-il, lui avait rappelé, e je ne saurais trop dire à la suite de quelle mystérieuse intervention des affinités insolites, Saint-Just tel qu'il fut au pied de la tribune de la Convention >. Les affinités ne sont peut-être ni insolites ni mystérieuses. Tout simplement, au delà de toutes les différences et de toutes les contradictions formelles, il y a ici la même race d'hommes (au sens profond où Péguy entendait le mot race), des hommes exigeant cette extrême rigueur de la vérité, qui ferait que la vérité serait cruelle si elle n'était pas libératrice. C'est aux pages où Char nous fait entrer cette vérité comme une lame dans l'âme même, que toute la force de la vie authentique rentre du même coup dans nos existences anémiées. Enfin le peintre Georges de La Tour est lui aussi une de ces nobles références, avec son regard qui porte si loin au delà de la misère du monde la foi en la justice et la pitié. Mais ici la noblesse se mêle de vie familière, comme il arrive chaque jour chez René Char - et sans qu'il en résulte aucune dégradation pour la noblesse, mais au contraire un enrichissement naturel. Car René Char chez lui garde toujours un témoignage de La Tour sous les yeux. Il écrivait, quand il était à son P.C. du maquis :

La reproduction en couleurs du Prisonnier de Georges de La Tour, que j'ai piquée sur le mur de chaux de la pièce où je travaille, semble, avec le temps, réfléchir son sens dans notre condition (...) Depuis deux ans, pas un réfractaire qui n'ait, passant la porte, brûlé ses yeux aux preuves de cette chandelle (...) Reconnaissance à Georges de La Tour qui maîtrisa les ténèbres hitlériennes avec un dialogue d'êtres humains.

Ces trois derniers mots m'arrêtent, comme si après eux il n'y avait plus rien à dire sur l'homme qui les prononce. Car il n'y a pas une parole de René Char - avec ce poids décisif qu'elle a toujours - qui n'ouvre le dialogue avec l'homme. La mission du poète, pour Char, est d'ouvrir ce dialogue, ou plutôt de le rouvrir : la plus grave question, en effet, qui se pose à ce sujet, étant de savoir où sont les hommes dignes de donner la réplique. C'est pourquoi il est bon que cette question nous soit rappelée de temps en temps par des interventions comme celle de Pierre Berger. Et celui-ci n'a pas pris le plus mauvais moyen d'évoquer René Char, en laissant entendre dans son propos l'écho du dialogue irremplaçable qu'il a eu avec Char lui-même. Après la référence à certaines races du génie humain, l'introduction à la poésie de René Char a pour chemin le plus direct celui qui conduit à sa petite ville, à sa maison, et qui approche naturellement la dignité de cette nature d'homme.
La maison - si provinciale - de l'Isle-sur-Sorgue
(*)...  

(*) Ceci était écrit avant que la mort de sa mère privât René Char de la maison de son enfance et de sa jeunesse.

...  n'est pas, et ne sera jamais, je pense un de ces rendez-vous littéraires comme la gloire de certains poètes en a créé parfois. Je crois pas qu'on s'y rende comme on allait par exemple rendre visite à Francis Jammes, â Orthez ou Hasparren. Et je vois encore moins naviguer sur la Sorgue les Parisiens da dernier bateau. Mais quand Albert Camus, dans les dernières années de sa vie, est allé nouer le dialogue avec Char sous les platanes du Vaucluse, je vois très bien en revanche à quel c enracinement», comme eût dit Simone Weil, il travaillait pour lui et pour ses frères humains. Le jour où j'ai pris moimême le chemin de l'Isle, c'était par une sorte d'appétit de l'âme qu'on pourrait comparer au besoin tout physique d'air riche, de terre ferme ou d'herbe drue. Quelques hommes commencent à savoir que les rencontres à 1'Isle-sur-Sorgue ne sont pas le théâtre de jeux d'esthètes ou de parlotes philosophantes. Ce qu'elles sont tout simplement, Pierre Berger le dit fort bien dans les lignes que voici

Un jour, nous allâmes Char et moi jusqu'au «Partage des Eaux», à l'Isle, lieu dont la somme de poésie est aveuglante. Plusieurs Sorgues s'y rejoignent et deviennent tout à coup une table laquée. Le vieux garde des eaux nous accueillit au seuil de sa maison et Char devint encore plus droit parce que le vieillard était pareil à lui, une force riante de notre univers secret. Je notai à part moi que l'hôte souriait en écoutant le poète. C'est qu'il usait des mêmes mots que le pêcheur. A peine leur avait-il donné un ordre de transfiguration. C'est en ce moment que je crus percer le mystère de toute sa pesanteur mouvante.

Quand Char apparaît ainsi parmi les paysans et les pêcheurs de son pays, il nous révèle le vrai rapport entre la poésie et les ressources de la nature humaine. La nature abonde en richesses infiniment plus copieuses qu'un poème n'en saurait contenir. Ce que fait la poésie, c'est de décanter ces richesses pour leur donner le plus d'intensité. Elle cristallise essentiellement. De là vient l'hermétisme de Char, qui tient à une extrême dureté. C'est comme des cailloux polis, au bord de vastes eaux vivantes dont la Sorgue n'est que le symbole le meilleur. Pour mesurer ce que Char condense de vie poétique dans l'un de ces cristaux-là, il faut l'avoir entendu conter de sa voix chantante l'une des histoires de poésie naturelle qui témoignent merveilleusement que, poésie et vérité, c'est la même chose, au niveau profond des sources où la vie n'a pas subi l'altération des apparences. Pourquoi l'ordinaire de nos jours vit généralement en exil de cette vérité-là, c'est ce que René Char nous dit quand il ajoute :

La réalité noble ne se dérobe pas à qui la rencontre pour l'estimer et non pour l'insulter ou la faire prisonnière. Là est l'unique condition que nous ne sommes pas toujours assez purs pour remplir.

Au risque d'offenser l'humilité qui parle ainsi, il faut bien dire que René Char est un des rares hommes d'aujourd'hui à qui cette pureté ne manque pas. Car la présence de la poésie dans la vie, qui révèle la réalité noble de la vie, on la voit éclater quand René Char donne leur plus juste expression»a actes de sa vie propre. La déchéance du Monde moderne peut se mesurer au langage que l'homme parle maintenant quand il agit. A bien peu d'exceptions près, les actes de rhomme moderne sont privés de style. Et quand un discours énonce l'action, c'est pour faire entendre le plus souvent ce langage informe qui devrait suffire à nous avertir les paroles et les écrits de la vie publique dans le monde moderne multiplient les signes que ce monde n'est plus habité par le génie de la nature humaine.

Or quand René Char commandait un maquis dans les Basses-Alpes, il lançait à ses hommes des proclamations dont voici un exemple.

 Réfractaires, mes camarades,
 Vous vous comptez aujourd'hui nombreux et chaque jour vous augmente. Toutes les forêts de France qui vous dissimulent s'entrouvriront bientôt pour vous laisser passer, vous et votre armée d'hommes libres !
 L'ennemi vous redoute. Vous ne devez pas le décevoir.
 Cependant ne commettez pas l'imprudence de vous offrir à lui. Nous devons rester vivants les derniers et le battre jusqu'au dernier.
 Réfractaires, rien ne m'inquiète : j'ai confiance en vous.

Pierre Berger a mis à l'honneur une page comme celle-là, non seulement dans la vie de Char, mais dans son oeuvre poétique. Il a raison. La densité et la loyauté de cette langue, les vertus de force et de prudence pratiquées dans l'usage même des mots, donnent à un tel texte une valeur qui en fait la meilleure introduction à la poésie proprement dite de René Char. Un écrit de René Char relève d'un art où toute la vérité et la dignité de l'homme sont engagées.

La Résistance, telle que Char l'a vécue, a été la mise en action la plus haute et la plus tendue de cet humanisme viril. Alors il a pu sembler que sortait de notre sol «un extraordinaire verger comme la France n'en avait connu que quatre ou cinq fois au cours de son existence et sur son sol». Il y eut là un de ces prodiges qui sont les miracles de l'honneur humain - miracles dont Char vénère le mystère éblouissant. Cela n'est pas de l'ordre de l'histoire, cette comptable myope ; c'est une histoire secrète qui communique à l'essentiel de la vie. De même, les hommes qui l'ont faite gardent leurs noms obscurs au coeur d'une gloire inviolée : Besson, Chaudron, Grillet, Rostagne, Zungerman, qui furent les compagnons de Char au maquis des Basses-Alpes, ou cet admirable Dominique Corticchiato qui, à moins de vingt ans, n'a pas craint de «mettre le feu à sa vie». En transcrivant ces noms à mon tour, je crois correspondre à l'esprit de communication ardente. qui fonde, pour une bonne part, l'humanisme de René Char sur des liaisons d'amitié active entre les plus sûrs foyers de vie réelle. Dans un dialogue, qui n'est sans doute qu'à moitié imaginaire, entre «le Poète» et «le Peintre» (dialogue dont René Char lui-même et Georges Braque semblent être les inspirateurs), il fait dire au Peintre : «Ce qui importe, c'est de fonder un amour nouveau à partir d'êtres et d'objets jusqu'alors indifférents.» Cela n'est pas seulement un principe de création artistique, c'est un art de vivre qui est affirmé ici.

Apollinaire savait ce qu'il entendait faire, quand il voulait appeler Eau-de-vie le livre qui s'est intitulé finalement Alcools. Oui, c'est de vivre qu'il s'agit, de vivre le monde tel qu'il est vivant, si je puis dire, et non tel que nous le laissons mourir faute d'entrer dans sa réalité. Tout est là, nous vivons dans le monde comme si nous n'étions pas au monde. Le poète, lui, parle le langage d'un homme qui communique avec toute la vie. Quiconque s'avoue déconcerté par lui fait l'aveu de ce qui le sépare de l'homme vrai et de la vie vraie.

Je crois que l'apparition de Char fut pour nous celle de cette vérité qui répondait à un appel du plus profond de nous-mêmes. Dans la grande subversion où nous voyions glisser nos espérances du temps des insurgés, une authentique valeur humaine était ce qui rendait un sens à nos attentes à la dérive. Dans une étude publiée par la revue Botteghe oscure (1952) Pierre Guerre a justement observé que, dans les aphorismes où René Char définit son art poétique, on pourrait souvent remplacer le mot «poète» par le mot «homme». De là vient que cette poésie retentit dans maintes vies présentes avec une résonance quasi unique. Elle rouvre à son ordre normal un monde qui se déshumanise. Cet art qui paraît à certains rare et abrupt serait probablement tout proche d'une humanité moins frelatée. Croyons-en Char luimême, qui nous a dit un jour que le meilleur critique de son eeuvre est un braconnier de son pays : «On me fait bien rire quand on dit que je suis hermétique, parce que lui il comprend tout de suite, instantanément, et il me dit : «Ça, c'est- vrai» ou bien : «Il faudra changer ce mot, et celui-là.» Il y a là beaucoup plus qu'une anecdote. L'accointance paysanne de Char avec les riverains de la Sorgue, telle que. nous l'avons observée plus haut, ou sa solidarité farouche avec les maquisards des Basses-Alpes, ne sont pas pour orner de traits pittoresques son personnage. Tout simplement la nature humaine, là où sa richesse est la plus saine et la plus pure, entre en communication avec cet homme par le chemin même que sa poésie veut nous ouvrir.

On irait loin dans la pénétration de René Char, en avançant sans embarras dans ce chemin de l'évocation de la réalité par l'image, où le meilleur parler populaire a son expression et sa sagesse. Le poète nous a dit lui-mème, dans un passage des Feuillets dHypnos, la réponse qu'il fit à un officier venu d'Algérie, qui s'étonnait de ne pas comprendre le langage dont les maquisards se servaient autour de lui. «La langue qui est ici en usage, répliqua-t-il, est due à l'émerveillement communiqué par les êtres et les choses dans l'intimité desquels nous vivons continuellement.» Donnez à cet usage la valeur d'un art, et vous avez la définition de la langue poétique de René Char. L'image ne vient pas se poser comme un ornement sur la chose dite, ou même s'accrocher à cette chose pour la soulever et l'entraîner dans une voie évocatrice. Elle est elle-même la chose dite, par le transfert merveilleux de la réalité dans la parole imagée qui la représente. Bien plus, elle nous offre une saisie totale de la chose, et non plus son aperçu par un regard qui l'effleure. Les mots, s'ils sont seulement descriptifs, caressent des beautés formelles. L'image, maniée par le poète qui retrouve le pouvoir du symbole, atteint la vérité de tout objet vivant pour la projeter dans la lumière.

C'est pourquoi chacun des poèmes de René Char, souvent si brefs, est comme un éclair qui sillonne l'essentiel. L'essence des choses se retrouve, immense et pareille, au sein de chaque créature. Le poète animé d'une vision révélatrice va donc à la fois, du même regard et du même mot, fixer l'objet le plus concret et ouvrir l'univers qui est en lui. Le miracle de la poésie suffit pour que l'émerveillement qu'il a éprouvé nous gagne à notre tour. C'est à nous de nous laisser toucher. En donnerai-je un seul exemple. Dans une chambre à l'aube, le langage non poétique et seulement figuré pourrait dire que le premier rayon du jour naissant se glisse comme un serpent. Mais Char, écartant la comparaison pour nous jeter dans l'évocation, saisit ce serpent, le nomme, l'anime. La vipère ? Non, le vipéreau, puisque c'est le petit jour qu'il symbolise. Et le Provençal à qui la colline pierreuse est familière a sans doute ici quelque souvenir précis. Voici donc le poème placé sous ce signe de vie naturelle : innocent et maléfique à la fois, comme tout dans la nature, et par qui tout dans le monde est suspendu entre la vie et la mort. Comme ce jour qui naît, justement, ce jour que va vivre un homme qui dort encore, l'homme qui, au long de sa journée tissée de bien et de mal, devra choisir. Mais pourquoi déballer dans une prose malhabile ce que la poésie de Char a scellé dans son cristal dur ? Lisez Le Vipéreau (recueilli dans le volume de Poèmes et prose choisis), lisez tout le reste. Vous vérifierez ce qu'on a dit maintes fois René Char fait face au monde naturel et à sa mêlée de contradictions, selon l'humanisme qu'Héraclite avait fondé sur la conscience et le courage.

Sur l'amour aussi. On n'a rien dit de René Char, tant qu'on n'a pas indiqué que cette fidélité à la nature est celle d'un homme lié à la vie universelle par une solidarité fraternelle où toutes les ressources humaines sont engagées. C'est ce que mettent en lumière la plupart de ses bons commentateurs. L'un d'eux en particulier l'a exprimé avec une pertinence à laquelle je veux faire écho. C'est Jean Pénard, dans sa préface à un choix de poèmes de Char qui a été publié en 1953 en République Argentine. Il nous dit ceci :

Hôlderlin a écrit dans La Mort d'Empédocle ces lignes qu'Albert Camus a mises en tête de son Homme révolté, et qui seraient peut-être à leur place en tête de l'oeuvre de René Char : «Et ouvertement je vouai mon ceeur à la terre grave et souffrante et souvent, dans la nuit sacrée, je lui promis de l'aimer fidèlement jusqu'à la mort, sans peur, avec mon lourd fardeau de fatalité, et de ne mépriser aucune de ses énigmes. Ainsi, je me liais à elle d'un lien mortel.» 

A quoi Jean Pénard ajoute :

Si de tous les poètes français vivants, Char est aujourd'hui celui qui nous retient le plus, c'est sans doute que nous sentons en lui cet amour. Cet amour malgré tout. Et que cet amour qu'il nous donne et qu'il nous inspire est pour chacun de nous une chance de salut.

J'ai voulu citer ce jugement sans l'abréger, parce que j'y trouve formulé tout ce qui est à dire. Dès lors, nous savons pourquoi un poème de René Char nous frappe d'une densité si intense que chaque mot y est comparable à une parcelle de radium. C'est que toute la vie de la terre y est cristallisée par l'amitié d'un homme.

L'art suprême, en cette justesse de vivre, est peut-être de «dire les mots des choses usagères que les balances du regard ne peuvent avec exactitude peser et définir.» C'est à propos de Pierre Reverdy que René Char exprime ainsi le plus parfait miracle de la poésie. Cela s'applique aussi bien à luimême, à ses poèmes ou à ses pages de prose en cristal de roche. Les vanités du langage, où l'erroné se glisse dans l'inutile, se détachent en lambeaux de ces vérités durcies au feu d'une exigeante concision.

«Sentir et dire juste», dit Char de la poésie. Il est lui-même le juste qui sait bien qu'atteindre le vrai est le secret de dire le beau. L'atteindre et le sauver, le vouloir tenacement et lui dévouer une garde farouche. Il met au service de la justesse, et contre toute imposture, sa violence toujours maîtrisée. Et puis, en son cœur de feu, la source d'un constant et immense amour. Dans le temps où «la terre grave et souffrante» laisse parfois les hommes qui l'habitent dans le doute de son destin, Char dresse parmi eux la stature de l'homme qui défie toute fatalité, parce que sa vie a soumis les rythmes du monde aux forces du coeur.

1951-1957


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