C'est à un franco-américain, Arthur-Joseph
Boulay, que reviendrait, selon Gabriel Labbé [1], l'honneur d'avoir enregistré les
premières mélodies du répertoire traditionnel québécois. En 1923, la
maison RCA Victor mettait en effet en circulation, en janvier de cette
année-là, sous son étiquette His Master's Voice, deux disques
contenant un Quadrille en trois parties et un pot-pourri intitulé Gigues mettant en vedette ce légendaire violoneux né dans le New Hampshire en 1883,
établi en 1913 à Saint-Stanislas (près de Beauharnois, Province de Québec)
et mort en 1948 à Cornwall (Ontario).
Pour considérer cependant ces deux
disques comme étant les tous premiers enregistrements de musique
traditionnelle québécoise, il faut faire abstraction d'enregistrements
privés, effectués à Paris en 1907 aux studios de l'A.P.GA.,
de divers reels, clogs et breakdowns joués à l'accordéon
diatonique par le non moins légendaire Athanase Rinfret, né à
Montmagny en 1868 et mort à Québec en 1915. Il n'existe malheureusement plus
qu'une seule copie de six de ces rarissimes cylindres, à l'origine au nombre
de douze (gravés en cinq exemplaires chacun, cylindres revendus en 1987 chez
Christie's (à Londres) à un collectionneur américain qui a désiré rester
anonyme pour la somme de £6,000 soit quelque $1,600 US, le cylindre (!). -
Les titres en étaient : le Reel Marshall, le Clog de
Christieville, la Maison Ouellette, le Reel de Lapocatière,
le Quadrille de Châteauguay et le Breakdown de Makinac [2].
Considérer également ces deux disques
et les cylindres de Rinfret comme étant les
premiers enregistrements de musique traditionnelle québécoise,
c'est également faire abstraction d'autres enregistrements de gigues, reels,
marches, polkas et autres mélodies, d'origine française, écossaise ou
irlandaise, ayant, depuis toujours, fait partie du répertoire de tout
bon musicien traditionnel québécois et qui sont parus sous diverses
étiquettes à partir de 1903 particulièrement à New York et à Toronto. -
C'est le cas, entre autres, d'enregistrements effectués à New York en 1903
par l'accordéoniste John Kimmel (né et mort à Brooklyn - 1866-1942) [3] et d'autres effectués à Toronto par le grand John
Rupert Davis (violoniste - Alexandria 1855, Niagara Falls 1929) en 1904,
1905 et 1906 [4] dont l'accompagnateur (piano) n'était nul autre
que Joseph Bernaquez, le père de Barromie Bernaquez qu'on
retrouvera en tant qu'accompagnateur sur des enregistrements de Willie
Ringuette, un autre franco-américain, né à Franklin dans le New
Hampshire en 1898 et mort aux Trois-Rivières en 1969. - C'est le cas
également d'enregistrements effectués en 1922 par Jean-Baptiste Roy (1893-1958) et Romuald Gagnier, deux québécois qui, pour la maison
Victor, enregistrèrent en 1922 des reels d'origine écossaise et
irlandaise : Reel Medley (Jean-Baptiste Roy, Victor -1922) et Medley
of Irish Jigs (Romuald Gagnier - même année).
Quoiqu'il en soit, les disques d'Arthur-Joseph
Boulay eurent un certain succès puisque dix mois plus tard, RCA Victor
lui fit enregistrer deux autres disques (Quadrille canadien [en quatre
parties]), puis, à partir de 1926, vingt-et-un autres disques dont deux avec
l'harmoniciste Henri Lacroix (également chanteur - 1895-1962) et un
avec l'accordéoniste Édouard Picard (1883-1931), neveu (sic) du plus
grand grand scieur de tous les temps, «Ti-Mé»
Picard (1876-1913), dont nous reparlerons à
l'instant.
Puis vinrent, à partir de 1927-28, les
violoneux Joseph
Allard (1873-1947), Fortunat Malouin (1870-1935), Isidore
Soucy (1899-1962), Joseph Ovila
Lamadeleine (1879-1973), Albert Lamadeleine (1905-1986), son fils, Joseph
Larocque (1873-1946), Willie Ringuette, cité ci-dessus, les
accordéonistes Joseph Guilmette (1886-1950), Donat Lafleur (1892-1973), Joseph Latour (1888-1932), le couple formé de Mézilia
Vadeboncoeur-Lebrun (1868-1853) et d'Adélard Lebrun (1877-1931) -
mari et femme -, Arthur Pigeon (1884-1966), grand-père des célèbres Frères
Pigeon (nés en 1931), Joseph Plante (1876-1947), Alfred
Montmarquette (1871-1944) de même que les
harmonicistes Louis Blanchette (1905-1969), Joseph Lalonde (1860-1946) et Adélard Saint-Louis (dont on ne sait à peu près rien) [5].
Mais tout cela se réfère à des
enregistrements ; or, bien avant 1928, 1926 ou 1923, la musique traditionnelle
québécoise existait au Québec. - Suffit de consulter les nombreuses
biographies consacrées aux musiciens précités et le livre de Gabriel Labbé
(voir notes 1 et 5) pour apprendre que Joseph Allard était le fils
d'un brillant violoneux, que Willie Ringuette a appris à jouer sur un
violon que lui avait fabriqué son propre père, que le père de Joseph
Guilmette, était lui-même accordéoniste, que la mère de Joseph
Plante, accordéoniste elle aussi, lui a enseigné à jouer de son
instrument, etc., etc.
Et, dans le lot, il ne faudrait pas
oublier non plus les enregistrements de ceux qui ont eu tant d'influence sur
nos musiciens québécois : Michael Coleman (Sligo, Irlande, 1877 - New
York 1945), les Frères Flanagan (piano, accordéon et guitare), John
Kimmel (cité ci-dessus), James Charles Morrison (Sligo, Irlande,
1893 - New York 1947), Alexander Prince (Glasgow - 1881-1944), James
Scott Skinner (Banchery, Écosse 1843 - Aberdeen 1927) et, naturellement,
les Frères Wyper, accordéonistes qui ne quitteront jamais leur
Écosse mais dont les enregistrements effectués entre 1903 et 1928 ont
largement été diffusés en Amérique du Nord.
Et comment passer sous silence le fait
que Mycroft
Marshall, le frère du Grand Marshall, fut un
violoniste hors pair ?
Parmi les descendants de ces «grands»,
il nous faut également citer Adalbert (Ti-Blanc) Richard (1920-1981),
le père de Michelle, Fernando Soucy (1927-1975), le fils d'Isidore, Jean
Carignan (1916-1988) qui suivit notamment des
leçons de Joseph Allard, Tommy
Duchesne (1909-1986), Rosaire Girard (1916-1985),
ami du réputé Willie Ringuette, Louis «Pitou» Boudreault (1905-1988) qui a appris à jouer de son père (Idor) et de son
grand-oncle, Thomas Vaillancourt, deux musiciens considérés à
l'époque comme les plus fameux du Saguenay-Lac-Saint-Jean (Labbé - voir
note 1).
Et ne citer que des violoneux, des
accordéonistes, des pianistes, des harmonicistes serait ignorer tout un pan
de cette culture traditionnelle qui ne se résumait pas à de la musique enregistrable ou, à tout le moins, écoutable sans que la vue de celui qui la
jouait soit nécessaire. On ne saurait en effet ignorer le son que
faisaient à l'époque, avec leurs talons, les danseurs pour qui elle était
essentiellement composée, jouée, destinée ou l'autre musique que
pouvaient produire les calleurs de set, les tapeurs [6],
les joueurs d'instruments improvisés, etc., etc. - C'est ainsi qu'on ne
saurait ignorer, en parlant de musique traditionnelle du Québec,
l'exceptionnelle chanteuse que fut Madame
Mary Travers, les légendaires Frères
Legris ou même
le joueur de scie par excellence que fut Aimé
(«Ti-mé») Picard, cité ci-dessus, les
joueurs de cuillères Ludger Côté (1881-1934) et Tenfant Brisebois (1899-1954), le «bombardiste» (joueur de guimbarde) Marcel Campeau (1889-1981),
la «clogueuse» Irma Laframboise (1901-1976),
l'organisateur de soirée, parfois «calleur», parfois «clogueur» Dédé
Viau ou même le raconteur Roland
«Tit-homme» Caseault qui insistait pour que chacun de ses contes soit accompagné par ou un
violoneux, ou un accordéoniste.
L'espace nous manque, ici, pour citer
tous et chacun mais au
hasard de leurs lectures, nos plus attentifs abonnés auront également pu
noter que diverses pages de notre site contiennent des informations sur
certains lieux, certaines manifestations se référant directement à la
musique traditionnelle québécoise.
Nous nous permettons, dans les lignes
qui suivent de référer nos moins habituels lecteurs à quelques pages où
ils pourront se renseigner davantage sur cet aspect de la culture québécoise
:
Sur les reels, nous leur suggérons de
lire la page que nous avons dédiée au très connu «Reel
du pendu».
Sur ce que pouvait être une soirée
«canadienne» bien avant la venue de la radio ou de la télévision, se
référer à la lettre
(inédite) de Louis Fréchette que nous
joignons aux présentes ou même au poème de Jean-Paul Filion, La
grondeuse.
Voir également ce qui est arrivé à un
festival qui se voulait Western, en juin 2001, et qui est finalement devenu un festival
de musique traditionnelle.
Dans ses pages, nos lecteurs
trouveront divers enregistrements ou extraits d'enregistrements disponibles en
format MP3 tels ceux de :
Joseph Allard :
Danse
écossaise (1946)
Quadrille acadien (1937)
Le reel de Châteauguay (1929)
Le
reel de mon maton (1930)
Le reel de Peribonka (1945)
Le reel de Saint-Malo (1944)
Le reel des moissonneurs (1942)
Le reel du cultivateur (1929)
Le reel du pendu (1928)
Jean Carignan :
Avèze
(1973)
Le
reel de Sherbrooke (1973) - extrait seulement
Le
reel du pendu (1973)
Le
reel du violon accordé en vièle (1973)
Tommy Duchesne :
Le
breakdown de Beauceville (1945)
Le
quadrille de Charlevoix (1941)
Le reel de
l'oiseau bleu (1937)
Le reel du
pendu (1945)
Le réveil
de de Gaulle (1945)
Le reel du
p'tit cordonnier (1975)
Rosaire Girard :
Le reel de
la victoire (1929)
Alfred Montmarquette :
Le clog de
Montmarquette (1929)
Le reel de
Montmarquette (1928)
Le reel de
Valleyfield (1930)
Le clog
Pariseau (1928)
La jeune
Timire (avec Eugène Daignault) (1928)
Isidore Soucy :
Le reel de
la mobilisation (1940)
Le reel du
pendu (1929)
Les
fraises et les framboises (Trio Soucy) (1949)
Le
quadrille de Québec (no. 1) (1926) :
Divers :
La galope
(Musiciens de Charlevoix) (1975) - extrait seulement
Le reel de
Gaspé (C. et E. Marshall) (2000) - extrait seulement
Le reel
Isidore (Ensemble Hubert de Trois-Rivières) (1945)
Le chapeau
de paille (Eugène Daignault) (1928)
La polka
des veuves (Trio Pigeon) (1940)
Ronfleuse
Gobeil (Wellie Ringuette) (1927)
Discographie (recommandation)
Pour en savoir
plus, l'UdeNap vous recommande une série de huit (8) disques compact
intitulés 100 ans de musique traditionnelle québécoise et
publiés chez Transit Productions Sonores (2970-5613 Québec Inc.), 27,
rue Louis-Joseph-Doucet, Lanoraie, Québec, J0K 1E0. - Tél. : (514)
887-2384 / Fax : (514) 887-7561.
Photos diverses :
(Cliquez sur
chacune pour un agrandissement)
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Michael
Coleman |
James
Scott Skinner |
Les
Frères Wyper |
Ti-Blanc
et Michèle |
[1] Musiciens
traditionnels du Québec (1920-1993) - Gabriel Labbé - vlb éditeur -
1995.
[2] Christie's,
vente numéro 1356, catalogue numéro 17, article 62 (1987).
[3] Gabriel
Labbé, opus cité.
[4] Canadian
Folk Music Review, mars 1953, pages 46 et suivantes.
[5] Tous
ces renseignements sont tirés du livre de Gabriel Labbé (opus cité) que
nous ne saurions trop recommander à nos lecteurs. - Voir note 1.
[6] On a
longtemps ainsi désigné ceux qui accompagnaient les musiciens
traditionnels au moyen d'une marionnette sensée représentée un danseur de
gigue dont les pieds frappaient une caisse de résonance ou tout simplement
une planchette de bois qu'ils tenaient entre leurs jambes.