Vol. XXIX No. 10 Le seul hebdomadaire de la région publié une fois par mois Le lundi 3 juin 2019

JUIN 1940



Ce numéro

(Mais pas nécessairement dans l'ordre)

Le fromage en tant que compagnon de route - Rosa Luxemburg - Quentin de la Tour  - Louis Armstrong - Dostoïevski - Saint-Simon - André Gide - El Greco - Jerome K. Jerome - Jean Cocteau - Omar Khayam - Voltaire - Jack McCauley - Socrate, Platon et le grand Démiourgos - Wagner - Julien Green - Dinosaures, boissons fermentées et grosses pépés - George Bernard Shaw - Alysée Bollinger - Le New Yorker - Christopher Hitchens - Kurt Vonnegut - Corneille - Tomas Torquemada - Cicéron et... Quatre-ving-cinq et demi. 

Bonne lecture !


Chroniques


 

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      Simon Popp

Confessions d'un mangeur de podium

(Note : ne vous en faites pas si les deux premiers paragraphes de cette chronique n'ont aucun rapport entre eux car ils se rejoignent au troisième. - D'ailleurs... mais vous verrez.)

Je ne sais pas s'il y en, parmi vous, qui se souviennent des agendas électroniques. Ces machins qu'on appelait dans certains magazines de l'époque des «Assistants Personnels Numériques» («APN»), traduction française de «Personal Digital Assistant» ou «PDA». Celui dont je me suis servi peu de temps après leur mise en marché fut un Palm™ qui avait à peu près le même volume qu'une calculette [de ce temps-là] ou des modèles actuels de téléphones cellulaires, ceux qu'on appelle  en France des «portables» et, un peu partout ailleurs, des «téléphones intelligents».  Dans ce Palm™, développé par la firme U.S. Robotics, on pouvait y inscrire ses rendez-vous, les noms, adresses et numéros de téléphone de ses amis ou clients, toutes sortes de notes (y compris des choses à faire ou à ne pas faire) et des renseignements en tous genres : l'anniversaire de son conjoint ou de sa conjointe, la date de naissance de son filleul, l'année de la découverte du radium ou les datés-clés de l'affaire Profumo (de triste mémoire). On pouvait également y noter les détails de ses dépenses, par semaine, par mois, par année, ses activités hors normes, les dates où il fallait soumettre un rapport, les heures à facturer et même son code postal. Y étaient incorporés une calculette, un calendrier, une feuille de calcul et une base de données. Les plus débrouillards (genre : moi, à l'époque) avaient trouvé le moyen d'y télécharger des textes et même des livres entiers. - Je me souviens entre autres, y avoir transféré tout Sherlock Holmes que j'ai relu du temps de mes premiers déplacements à l'extérieur de la ville. - C'était du même temps où les téléphones mentionnés ci-dessus étaient si volumineux qu'on ne pouvait les installer que dans son automobile.


Palm IV - Un des derniers modèles.

Je ne me souviens plus au juste quand, exactement, j'ai commencé à me tenir dans des restaurants où l'on pouvait manger assis au comptoir d'un bar. - Il y a trente, quarante ans ? Peut-être plus. - C'était au début de ma carrière ou plutôt vers le moment où je devais passer la majeure partie de mon temps sur la route, comme on disait dans le temps ; une excellente traduction, à mon avis, du on the road américain. - Cela permettait à des gens comme moi de se retrouver entre collègues à divers endroits où nous avions «nos habitudes». - Puis, appelé à voyager un peu partout, au Canada et aux États-Unis, j'ai fini par trouver des endroits similaires dans différentes villes où, après un temps, je finis par être considéré comme un «régulier» dans une variété de «bars» où je pouvais, sans crainte, aller m'asseoir et où le personnel  - quel soulagement ! - se souvenait ce que je prenais comme apéro et même ce que j'allais manger. - C'était un sandwich au pastrami à New York, du veau aux moreilles à Tucson, un Fish n' Chips à San Francisco, des moules à Boston, un club sandwich à Toronto, une soupe won-ton à Vancouver, un hachis parmentier à Paris, une sole à Londres, un bifsteak à la Helder à Bruxelles ou une soupe aux fèves rouges à un endroit que je refuse de nommer.

C'est avec le Palm™ décrit au premier paragraphe que j'ai pris l'habitude de lire, seul, dans mon coin, dans ces établissements où l'on sert encore de nos jours des boissons fermentées (ou distillées) et c'est ainsi qu'aujourd'hui, même à la retraite, il m'arrive souvent de m'accouder à des zincs ou ce qui passe pour des zincs avec, non plus un Palm™, mais un lecteur digital ou une tablette, et non plus pour rencontrer des collègues ou des clients, mais tout simplement pour prendre un apéro et manger entouré de gens à qui je ne suis pas obligé de parler et, justement, à qui je ne parle pas car - j'ai honte de l'avouer - je suis incapable de suivre la plupart des conversations de ceux qui s'y tiennent ; soit qu'ils parlent un langage que je n'arrive pas à comprendre (*), soit qu'ils passent d'un sujet à l'autre trop rapidement pour ma petite tête ou, pire encore, ils ont une conception du futur qui m'échappe complètement. La mienne est pourtant simple : le futur, c'est aujourd'hui, celui que je n'ai pas vu venir.

(*) «Je me sens autre, je me sens seul, je ne parle pas le langage qu'on parle autour de moi.» - Julien Green, Vers l'invisible, Plon, 1967, p. 208.

- Fin de mon introduction à ce qui suit. -

 

Futurama

Un ami m'écrivait l'autre jour qu'il se posait depuis longtemps... - attendez que je trouve sa note exacte... «une question existentielle» à savoir si : «...les progrès technologiques avaient amélioré [...] les conditions de la vie vie humaine ; [si nous étions en train de vraiment nous donner] une plus grande liberté d'être, de parole, d'agir et même de penser ; [si nous étions aujourd'hui] plus en sécurité ; [si] nous dormions mieux la nuit»... etc. (J'abrège). Autrement dit : 

«Où allons-nous ?» ou «Que nous réserve l'avenir ?»

Je ne lui ai pas encore répondu parce que, en deux mots, je n'en ai aucune idée. 

Je sais une chose : que prédire le futur est une tâche très difficile, surtout en ce qui concerne l'avenir. - Et à chaque fois que j'entends ou que je lis ce que les futurologues nous promettent pour les prochains 50, 100, 200 ans, je me couvre les yeux et je me bouche les oreilles comme l'ont fait  - j'espère ! - ceux à qui l'on a présenté, lors de la grande exposition de Chicago, (en 1933)  cet, aujourd'hui, risible film dans lesquel on pouvait voir, en l'an 2000 (il y a 19 ans), des aéroplanes se déplacer d'un édifice à l'autre et des milliers d'autos qui circulaient sans arrêt sur d'innombrables autoroutes entre des villes uniquement composées de gratte-ciels.


The World of the Future

Pour les aéroplanes la plupart des futurologues de l'époque ont dû se rhabiller après avoir découvert, dans les années qui ont suivi leurs prédictions, le vent et ses effets, surtout entre des tours à bureau ou se forment des tunnels où l'on doit s'attacher pour se rendre, à pieds, de l'un à l'autre. Quant aux autoroutes, j'ai hâte de voir comment on aura réglé les embouteillages non pas dans, mais créés il y a ving ans.

Vous savez... le futur, pour des gens comme moi, qui sont dans la cinquante ou  soixantaine et même moins (ou plus : c'est mon cas), c'est un moment qui a un certain rapport avec nos passés, c'est-à-dire notre présent. Nous ne sommes pas obligés d'analyser des tonnes de  statistiques pour réaliser que les changements qu'on nous a promis ne sont pas survenus ; que les vies que nous avons menées n'ont pas été très différentes de celles de nos pères et mères et de leurs pères et mères, exclusions faites pour certains gadgets : le Palm™ dont j'ai parlé tout-à-l'heure, les fours à micro-ondes, les stylos à bille et les pneus radiaux (sans oublier les cônes oranges. les tissus en simili-cuirette synthétique et le Cirque du Soleil). - Personnellement, oui, j'ai voyagé un peu plus que mes parents, j'ai eu plus de temps libres et, avec la venue de l'internet, je n'ai plus eu à me déplacer pour enfin trouver des informations capitales sur la culture des topinencours,  la fabrication des archets de violon en Auvergne au XVIIe siècle. Une chose quand même : j'écris toujours avec une plume avec de la vraie encre contenue dans un vraie réservoir.

Hypothèque ? Inchangée. Fins de mois qui débute le quinze : inchangées. Amours déçues : inchangées. Grammaire : inchangée. (Pour elle, apparemment, il faudra attendre quelques décennies de plus.) - Embouteillages ? Je n'en avais pas prévu autant. Mais, depuis la venue des modèles japonais, nos autos sont mieux construites. Même les américaines. - Y'a juste les prix dans les bars qui n'ont pas suivi mes revenus, mais ça, c'était prévisible.

Mais revenons au futur. À celui qui s'en vient.

Sauvons la planète

En admettant - ce que je suis prêt à faire - que les gaz à effet de serre sont en train de polluer notre atmosphère, que les changements climatiques sont devenus un problème dont il faudra éventuellement tenir compte et que l'énergie à base de fossille doit faire place à une énergie renouvelable, je trouve bien arrogants ceux dont les slogans sont : «Sauvons la planète.», «Des millions d'espèces. Un avenir commun.», «La biodiversité d'abord et avant tout.», «Le développement sans destruction.», «N'enfouissons plus, recyclons.»...

Je les trouve non seulement arrogants, mais bien ambitieux, qu'ils ont même du culot et de  l'audace de se trouver plus intelligents que la nature qui les a mis au monde car la planète sur laquelle ils existent (et qui a quatre ou cinq milliards d'années) a su survivre à des maux bien plus sérieux que l'augmentation ou la diminution du nombre de ses tempêtes tropicales ou la présence de sacs en plastique dans ses océans : ses continents se sont scindés en deux, trois, quatre et se sont mis à se déplacer non sans séismes, éruptions volcaniques, tsunamis accompagnés d'impacts d'astéroïdes et de comètes et l'influence des vents solaires.

Pour elle, qui sommes-nous ? Un tout petit groupe de microbes, moins nombreux que les rats ou les fourmis. Nous sommes des bactéries comme ces monstres que furent les dinosaures et les ptérodactyles, et d'autres encore à qui elle a permis de survivre des milliers et dans certains cas des millions d'années. Elle en a fait disparaître 99,99% depuis qu'elle existe. - Attention, hein : je tiens à préciser que nous ne les avons pas tous tués. Plaidons coupables, oui, pour les tigres du Bengale (quoiqu'il en reste encore quelques uns), mais même avec nos insecticides, nous n'avons pas encore réussi à nous débarrasser des blattes et autres créatures «nuisibles». - Et nous pensons qu'avec notre polystyrène et nos déchets toxiques que nous sommes en train de détruire la terre ? - Les sacs en plastique que je viens de mentionner, ben, ils vont nous étouffer, nous, pas elle : elle les incorporera dans sa composition et puis voilà. : dans dix, cinquante, cent ans, nous aurons donné naissance à une terre renouvelée : A Brand New Earth ! 

De quoi annoncer dans les journaux galactiques :

Dans un système solaire près de chez vous 

Une toute nouvelle planète !

Maintenant avec du polystyrène

(Et sans ozone)

Soyons au moins fiers de ce que nous sommes en train de créer. - Pas sauver, mais créer.

Je vous ai déjà dit, je crois, ce que je pensais des écologistes et de leur recyclage ? - Fichez-moi la paix ! Si vous n'aimez pas les emballages de toutes sortes, attaquez-vous aux fabriquants de ces emballages. Pas à moi ! Je ne suis qu'une victime dans cette affaire-là. - Et je ne suis pas responsable, non plus, de la pollution des grands lacs : je demeure à plus à l'est. Quant à la disparition des tramways, j'étais contre, mais on ne m'a pas écouté. 

Mais passons maintenant à quelque chose qui inquiète ben du monde :

L'intelligence artificielle

J'ai une proposition à vous faire :

Que diriez-vous si l'on pouvait, demain matin, transférer vos neurones, vos pensées, vos idées, vos souvenirs dans un corps en acier inoxydable susceptible de durer mille ans pourvu que vous y fassiez un peu attention, enfin : beaucoup moins que cette ossature recouverte de chair dans lequel vous résidez présentement. - Sensations comprises, naturellement : vue, toucher, ouïe, goût, odorat, tout le bazar. Et en mieux : audition de plus de 20,000 cycles et de façon permanente ; vue au delà de l'infra-rouge et de l'ultra-violet ; odorat supérieur à tous les canidés ; et ainsi de suite. - Ajoutez une capacité de mémorisation dépassant les mille milliards de petaoctets... De quoi être capable de vous souvenir et de citer tout Shakespeare, tout Proust, cinq ou six versions de la Bible (et n'importe quelle partie de n'importe quelle lettre  de la correspondance de Voltaire) en une fraction de secondes ; parler également dix-huit langues et chanter comme Caruso ou La Callas (au choix).

Maintenant, imaginez-vous que des programmeurs pourront, d'ici quelques décennies, créer des robots  capables de faire tout cela et que ces mêmes robots, d'une intelligence fort suprérieure à la nôtre, décideront que nous sommes des nuisances sur la terre avec nos futurs Néron, Attila , Tomas Torquemada, Francisco Pizarro, Willhelm II, Hitler, Staline, Trump et Kim Yong Un (pour n'en nommer que quelques uns) sans compter ces horribles ultra-obèses créatures qui fréquentent les shopping malls américains... et qu'ils tomberont d'un commun accord sur une foule de choses : celui de nous remplacer, par exemple, ou de cesser de fouiller dans le sol pour trouver du pétrole, de voyager plutôt ; dans l'espace pour y découvrir d'autres planètes et d'autres robots semblables à eux, leur expliquant qu'ils sont des créatures issues d'une race (la nôtre) qui avait bien des failles, mais qui était quand même assez intelligente pour les avoir crées, eux...

My money is on them comme disait le regretté Cardinal de Richelieu, pas sur ces petits commerçants que je rencontre au Bar*** (que je citais au début de cette chronique) qui ont de la difficulté à «faire partir» leur piscine cette année parce qu'avec le climat de ce printemps...

*

... ἀνεξέταστος βίος οὐ βιωτὸς ἀνθρώπῳ

C'est du grec. Du regretté Socrate. Ça se traduirait, à ce qu'on m'a dit, par : «Une vie qui n'a pas été étudiée, examinée, scrutée, analysée (faites votre choix)... ne vaut pas la peine d'être vécue.» - Parallèlement, la question qu'on peut se poser est : «Et si la vie étudiée, examinée, scrutée, analysée... ne valait pas, elle non plus, d'être vécue ?» (C'est de Kurt Vonnegut, je crois.) - C'est une possibilité. - Ça fait partie de ces aphorismes qu'on répète d'années en années depuis des siècles et qui sont tout aussi convaincants que les dictons ou proverbes qui se contredisent :

À père avare, fils prodigue
      Tel père, tel fils

 Les opposés s'attirent
      Qui se ressemble, s'assemble

Prudence est mère de sureté
      Qui ne risque rien, n'a rien

Ça va plus loin quand même que ces courtes phrases qui ne veulent rien dire. Les formules reliées à la mémotechnie par exemples :

Il n'y pas de «r» après un «si»
     Auquel on peut répondre : «Mais si l'on erre ?»

   et l'incroyable :

Je leurs ai dit et je leurs ai répété que «leur» devant un verbre ne prennait jamais de «s».

Je ne vous encouragerai pas à fréquenter les bars, cafés ou pubs de votre quartier, mais si jamais il vous en venait l'idée, vous pourrez toujours vous consoler en vous disant que ce sont des endroits où vous pourrez en apprendre plus de ces stupidités... ou vous en débarrasser. - Tous ces endroits ont, en général, un client, la plupart du temps plusieurs qui en connaissent des dizaines qui résument leur connaissance du monde ou qui sont en mesure d'en démonter la triste exactitude.

C'est la conclusion à laquelle j'en suis arrivé depuis un certain temps. Non : depuis longtemps.

À noter que j'y ai quand même appris que le mot «'stie» n'est pas un sacre, mais un signe de ponctuation verbale. Et que certains sacres pouvaient se conjuguer :

  • Je m'en décalice

  • Je m'en décaliçais

  • Je m'en décalicerai

  • [Il eut fallu que] que je m'en décaliçasse

(un peu rare, quand même, ce dernier.)

Et voilà qu'on me dit qu'on apprend rien dans ces établissements - qu'est-ce que je disais déjà ? - où l'on sert des boissons fermentées et distillées...

*

Fonds de tiroir

Quand on me demande de quoi je vis, combien je gagne par année, ce que je dépense, d'où proviennent mes revenus, je réponds invariablement que je ne le sais pas. - Ce qui n'est pas très loin de la vérité.

Je sais très bien que je n'ai pas les moyens de déménager de façon permanente dans une suite au Ritz et d'avoir un majordome à ma disposition 24 sur 24, ni d'avoir suffisamment de fonds disponibles instantanément pour me rendre à Paris à trois heures d'avis et encore mois posséder une Lamborguini Miura S ou même un Hummer modèle Deux.

Mes dépenses, je les fais au pif. Un pif quand même expérimenté, mais qui ne m'avertit pas encore asez rapidement que j'ai dépassé certaines limites. Pour cela, je compte sur deux personnes qui «administrent» mes finances depuis plus de vingt ans. Ceux qui me connaissent, savent de qui je parle : de mon ex et de mon comptable. «A deadly combination» m'a-t-on dit. - Probablement, mais je leur fais confiance, Et vous savez pourquoi ? Parce que j'ai été étonné toute ma vie du nombre de gens qui m'ont fait confiance.

Ça va dans les deux sens, je crois.

*

J'ai décidé cette semaine de ne plus jamais dire que la littérature «contemporaine» ne m'intéresse pas. - Je me suis d'ailleurs expliqué là-dessus (prolifération des livres qu'on publie, prix qui ne veulent rien dire, ce que les critiques passés ont écrit sur leurs contemporains, ceux à qui ils ont promis un brillant avenir, etc.). - Pourquoi ? parce que je me suis aperçu récemment, marchant dans mon appart, entre deux colonnes de livres non classés et déposés à même le sol parce que je ne sais plus où les mettre, que j'ai lu au cours des dernières années plus d'essayistes post-1970, et même 80, que tous les écrits des essayistes, notamment anglais, du XIXe siècle, ce qui, croyez-moi, est énorme. - Côté roman, je n'ai qu'à jeter un coup d'oeil, de l'ordinateur où j'écris ces lignes, pour apercevoir des noms comme Pérec, Marquez, Queneau, Ducharme, Robbe-Guillet, Aymé, Le Carré, Butor, Sarraute, quelques Russes, Allemands, Sud-Américains et un Tchèque...

Non contemporain, moi ?

*

Vous savez ce qu'on a dit de moi récemment ? Que j'étais «grégaire». Si, si : «grégaire», c'est-à-dire que j'avais tendance à fréquenter ou adopter le comportement de mes semblables (lire : être humains). - Depuis, je ne fais que compter le nombre d'endroits où je passe pour la plus taciturne des personnes qui s'y pointent.

Un détail :

J'ai abandonné il y a quelque temps l'idée de devenir, à la George Smiley, un «inoffensif excentrique qui change d'idées constamment, qui est reclus, mais qui posséde deux ou trois charmantes habitudes comme celle de se parler tout seul en arpentant des bouts de chemin sans intérêt...» - Les gens que j'ai rencontrés au cours des derniers mois ont trop eu la fâcheuse habitude de me demander qui j'étais.

Je me suis inventé une histoire qui les fait reculer un peu :

  • que mon père est né en 1900

  • que son père, mon grand-père, est venu au monde en 1872, cinq ans après la Confédération

  • que j'ai une fille de 52 ans

  • qu'elle a une fille de 26 ans

  • et que son fils, mon arrière-petit-fils, aura quatre ans le dix juin prochain.

Ajoutez à cela que je suis conseiller en traduction, écrivain, amimateur radiophonique,  que je ne suis jamais allé «dans le Sud» et que je ne connais rien aux «chars».

J'ai même repenser à ressortir ma cane.

Le reste, j'improviserai.

*

Pour terminer, une pensée qui me revient en tête de plus en plus. Elle est de George Bernard Shaw dont je reparle un peu plus loin :

"Plus je vieillis, plus je m'aperçois que j'ai toujours eu raison et que les longues et fréquentes recherches que j'ai effectuées pour le démontrer m'ont fait perdre bien du temps."

Mais j'allais oublier :

Un conseil à une bonne amie à moi :

Trouve du temps pour toi. ne serait-ce qu'une heure par semaine. Une demi-heure suffira pour commencer. - Ce n'est qu'en étant toi que tu auras une certaine influence sur ceux qui t'entourent ; le reste du temps tu ne seras  que leur esclave... car :

Les gens ne nous aiment pas pour nos connaissances, notre intelligence ni pour ce que nous disons ou les services que noius leur rendont. Ils nous aiment parce que nous sommes nous.

Simon

      Herméningilde Pérec


Juin, déjà ?

Oui, je sais : juin est un mois comme les autres, sauf que, je ne sais pas pourquoi, il me rappelle que j'en suis à la demi-année d'une autre année ; de celles qui font que, sans m'en douter, je vieillis de jour en jour.

Juin ! Dans quelques jours, j'aurai non plus quatre-vingt-cinq ans, mais quatre-vingt-cinq ans et demi. Tout comme le Professeur d'ailleurs.

Lui, je le vois, tous les jours, tranquille, immuable, le regard aussi vif qu'un homme de vingt ans et, toujours, le sourire aux lèvres. - A-t-il un secret d'une certaine jouvence que j'ignore ? Je ne sais pas.

Et puis voilà que je viens de lire la chronique de Simon où il parle de ces robots qui pourront durer mille ans. - Moi, à qui l'idée de me retrouver demain matin dans mon corps de vingt ans m'effraie la nuit quand j'y rêve..

85 ans et demi ! En juin de 1933 le numéro de la NRF contenait deux poèmes de Mallarmé, des propos d'Alain et on y parlait même d'Anna de Noailles !

Se peut-il que l'on soit sur cette terre que pour une durée limitée ?

Que de temps j'ai perdu à des futilités comme celle d'apprendre par coeur la première des Catilinaires de Cicéron, la raison pour laquelle les mots qui se terminent en «eu» prennent un «x» plutôt qu'un «s» au pluriel ou comment extraire des racines carrées ! Et encore : je ne fais que citer les bonnes futilités ! - Les moins bonnes sont peut-être celles qui font que la Providence, dans sa sagesse, a limité, justement, notre séjour dans - quelle est la formule consacrée, déjà ? - Ah oui ! - ...cette «vallée de larmes».

Décidément, pour un jeunot, je trouve Simon bien sage.

H. Pérec


       Copernique Marshall


Copyrights anyone ? 

I did some research lately. Well not research as such. Just trying to figure out things like the American Constitution... in order to understand what everybody seems to be talking about lately. You know : impeachment, subpoenas (or is it supoenae ?) cover-ups, trials and so on. And of course, just like it happens when one doesn't know exactly what one's looking for, I got mixed up in all sorts of information on tarifs, China, witholding information, Huawei, Google, the Internet, YouTube, copyrights and... royalties.

What I found out is that there are no international laws governing copyrignts. In France, the rights of an author and his or her estate to the sales and marketing of his or her works is 75 years after his death. In Canada these rights expire after 50 years. In Mexico the period is 100 years since 2003 (used to be 90) but only 99 years in Côte d'ivoire... Now these are for books, plays, music and other stuff. When it comes to recordings, TV shows, newspapers and films (in which producers, directors, actors, composers, decorators, musicians etc. are involved), well, besides the lawyers I occasionally meet in bars, it seems that everybody and their dogs have an opinion which never explains the phenomenon of YouTube where one can watch just about anything including stuff which I'm very fond of : old movies, documentaries and the occasional news shows which is why I got involved in my research to begin with.

Old films

I once had a book on classic films in which the author - this book dated back to the fifties - gave a list of films that he considered essential to anyone who liked movies and wanted to see the best movies ever made. The list was immaterial in that everybody (and his dog, I repeat) had, at that time, and still today, their own favourite films. What did strike me was a remark in its preface which implied that with the development and opening of art films cinemas in most major cities a cinema buff could, finally, see films that were no longer available in regular theatres. 

I wonder how the author of this book would react, today seeing what's avaibale on thousands of sites.

The world is getting perfecter and perfecter everyday.

Well... the sun hasn't been out a lot lately. But I did watch Greta Garbo last night.

Copernique

       Jeff Bollinger


Ouais... 

Élyanne étant avec Matisse chez ses parents, à Québec, et Thomas et Frédéric étant en excursions à Saint-Cucufa, je me suis retrouvé seul, samedi dernier, avec Alysée. ma plus vieille, à l'heure du lunch. Nous ne savions ni l'un ni l'autre quoi manger, ni n'avions particulièrement faim,.Je lui ai proposé d'aller à Montréal nous promener un peu et bouffer dans un fast-food du Vieux ou une pizza rue Saint-Denis.

Pas question : elle n'était pas coiffée, n'avait pas le temps de se rendre présentable, ne savait pas quoi se mettre sur le dos et puis... Elle ne me l'a pas dit. mais je m'en suis vite rendu compte : elle, dix-huit ans, et moi,  à presque quarante-deux, qu'est-ce qu'on aurait eu l'air en ville ? 

Finalement, elle a ouvert le frigo et nous a fait une de ces omelettes comme je n'en avais pas mangées depuis longtemps. «Bout de bon Dieu, que je me suis dit. Elle fait mieux à manger que sa mère !» (M'enfin : côté omelette.)

Puis je l'ai regardée longtemps. Assez pour qu'elle se sente gênée au point où elle m'a demandé pourquoi je la regardais comme ça. «Rien, que je lui ai dit. Juste que je n'ai pas souvent l'occasion.».

Belle fille. Bientôt belle femme. Qui aurait pu prévoir ce qu'elle deviendrait quand je l'ai tenue dans mes bras alors qu'elle n'avait qu'une semaine, il y a, me semble, hier. 

Puis elle s'est retournée et est redevenue la petite fille de six ans que je berçais, le soir, en lui racontant des histoires de fées, de princes charmants et du cheval de Golo. «Est-ce que tu me trouves belle ?» m'a-t-elle demandé. «Bien sûr.» Et elle s'est sauvée en courant prétextant qu'elle devait faire ses ongles.

Plus tard, je me suis regardé dans la glace de la salle de bain et je me suis dit que la photo, de moi, celle qui paraît dans le Castor à chaque mois, ben... il faudrait la changer.

Jeff

   Georges Gauvin


Printemps... 

Dans le métro, hier, un bonhomme est entré vêtu d'un pardessus d'hiver ; d'un véritable «coat des neiges», comme dit Simon. Avec une tuque sur la tête et des gants. Un peu plus, il aurait été chaussé d'une paire de bottes, mais il ne portait définitivement pas des sandales.

Tous les passagers faisaient semblant de ne pas le regarder, mais j'en sais, comme moi, qui se sont dit qu'avec le plus cinq qu'il faisait quand je suis sortie de la maison, ils auraient dû s'habiller comme lui. 

Je ne suis pas la mode. Ni aucune de mes collègues au bureau. Même ma mère s'est toujours défendue de porter le mauve du jour ou le tailleur du dernier cri. Mais pour les périodes de l'année, nous sommes tous, y compris les hommes, des idiots. Vient le printemps et nous retirons de nos placards tout ce qui pourrait être utile pour encore quelques jours. - Quelques jours ? - Des semaines, cette année. - L'été approche et si j'ai vue ma voisine sortir en «shorts» deux fois depuis le début d'avril, je ne me souviens pas d'une seul journée où un chandail n'était pas un luxe. - Faut dire qu'elle...

Ce sont des choses comme celles-là qui me font penser que j'ai hâte de vieillir pour avoir assez de front (de personnalité ?) pour me vêtir convenablement.

D'ailleurs, j'ai déjà commencé : je ne porte plus de petites culottes, que des confortables. Après tout je ne sort plus pour aller trouver MON prince charmant. Et si j'en trouve un, je suis certaine que ses sous-vêtements seront en état de décomposition.

George

        Fawzi Malhasti


Morceaux choisis 

    1 - Le grand inquisiteur

«...nous leur permettrons ou leur défendrons de vivre avec leurs femmes ou leurs maîtresses, d'avoir des enfants ou de n'en pas avoir, et ils nous écouteront avec joie. Ils nous soumettront les secrets les plus pénibles de leur conscience, nous résoudrons tous les cas et ils accepteront notre décision avec allégresse, car elle leur épargnera le grave souci de choisir eux-mêmes librement. Et tous seront heureux, des millions de créatures, sauf une centaine de mille, leurs directeurs, sauf nous, les dépositaires du secret. Les heureux se compteront par milliards et il y aura cent mille martyrs chargés de la connaissance maudite du bien et du mal. Ils mourront paisiblement, ils s'éteindront doucement en ton nom, et dans l'au-delà ils ne trouveront que la mort. Mais nous garderons le secret; nous les bercerons, pour leur bonheur, d'une récompense éternelle dans le ciel. Car s'il y avait une autre vie, ce ne serait certes pas pour des êtres comme eux...»


Le Grand Inquisiteur
Fernando Nino de Guevana
par El Greco

Fiodor Mikhailovitch Dostoïevski (1821-1881)
(Les frères Karamazov, Livre V, chap. 5) 

*

   2 - Un songe de Platon

Platon rêvait beaucoup, et on n’a pas moins rêvé depuis. Il avait songé que la nature humaine était autrefois double, et qu’en punition de ses fautes elle fut divisée en mâle et femelle. Il avait prouvé qu’il ne peut y avoir que cinq mondes parfaits, parce qu’il n’y a que cinq corps réguliers en mathématiques. Sa République fut un de ses grands rêves. Il avait rêvé encore que le dormir naît de la veille, et la veille du dormir, et qu’on perd sûrement la vue en regardant une éclipse ailleurs que dans un bassin d’eau. Les rêves alors donnaient une grande réputation. 

Voici un de ses songes, qui n’est pas un des moins intéressants. Il lui sembla que le grand Démiourgos, l’éternel Géomètre, ayant peuplé l’espace infini de globes innombrables, voulut éprouver la science des génies qui avaient été témoins de ses ouvrages. Il donna à chacun d’entre eux un petit morceau de matière à arranger, à peu près comme Phidias et Zeuxis auraient donné des statues et des tableaux à faire à leurs disciples, s’il est permis de comparer les petites choses aux grandes.

Démogorgon eut en partage le morceau de boue qu’on appelle la terre et, l’ayant arrangé de la manière qu’on le voit aujourd’hui, il prétendait avoir fait un chef-d’oeuvre. Il pensait avoir subjugué l’envie, et attendait des éloges même de ses confrères ; il fut bien surpris d’être reçu d’eux avec des huées.

L’un d’eux, qui était un fort mauvais plaisant, lui dit : «Vraiment vous avez fort bien opéré ; vous avez séparé votre monde en deux, et vous avez mis un grand espace d’eau entre les deux hémisphères, afin qu’il n’y eût point de communication de l’un à l’autre. On gèlera de froid sous vos deux pôles, on mourra de chaud sous votre ligne équinoxiale. Vous avez prudemment établi de grands déserts de sables, pour que les passants y mourussent de faim et de soif. Je suis assez content de vos moutons, de vos
vaches, et de vos poules ; mais franchement, je ne le suis pas trop de vos serpents et de vos araignées. Vos oignons et vos artichauts sont de très bonnes choses, mais je ne vois pas quelle a été votre idée en couvrant la terre de tant de plantes venimeuses, à moins que vous n’ayez eu le dessin d’empoisonner ses habitants. Il me paraît d’ailleurs que vous avez formé une trentaine d’espèces de singes, beaucoup plus d’espèces de chiens, et seulement quatre ou cinq espèces d’hommes : il est vrai que vous avez donné à ce dernier animal ce que vous appelez la raison, mais, en conscience, cette raison-là est trop ridicule, et approche trop de la folie. Il me paraît d’ailleurs que vous ne faites pas grand cas de cet animal à deux pieds, puisque vous lui avez donné tant d’ennemis et si peu de défense, tant de maladies et si peu de remèdes, tant de passions et si peu de sagesse. Vous ne voulez pas apparemment qu’il reste beaucoup de ces animaux-là sur terre : car, sans compter les dangers auxquels vous les exposez, vous avez si bien fait votre compte qu’un jour la petite vérole emportera tous les ans régulièrement la dixième partie de cette espèce, et que la soeur de cette petite vérole empoisonnera la source de la vie dans les neuf parties qui resteront ; et, comme si ce n’était pas encore assez, vous avez tellement disposé les choses que la moitié des survivants sera occupée à plaider, et l’autre à se tuer ; ils vous auront sans doute beaucoup d’obligation, et vous avez fait là un beau chef-d’oeuvre.»

Démogorgon rougit ; il sentait bien qu’il y avait du mal moral et du mal physique dans son affaire ; mais il soutenait qu’il y avait plus de bien que de mal. «Il est aisé de critiquer, dit-il ; mais pensez-vous qu’il soit si facile de faire un animal qui soit toujours raisonnable ; qui soit libre, et qui n’abuse jamais de sa liberté ? Pensez-vous que, quand on a neuf à dix mille plantes à faire provigner, on puisse si aisément empêcher que quelques-unes de ces plantes n’aient des qualités nuisibles ? Vous imaginez-vous qu’avec une certaine quantité d’eau, de sable, de fange, et de feu, on puisse n’avoir ni mer, ni désert ? Vous venez, monsieur le rieur, d’arranger la planète de Mars ; nous verrons comment vous vous en êtes tiré avec vos deux grandes bandes et quel bel effet font vos nuits sans lune ; nous verrons s’il n’y a chez vos gens ni folie ni maladie.»

En effet, les génies examinèrent Mars, et on tomba rudement sur le railleur. Le sérieux génie qui avait pétri Saturne ne fut pas épargné : ses confrères, les fabricateurs de Jupiter, de Mercure, de Vénus, eurent chacun des reproches à essuyer. On écrivit de gros volumes et des brochures ; on dit des bons mots, on fit des chansons, on se donna des ridicules, les partis s’aigrirent ; enfin l’éternel Démiourgos leur imposa silence à tous : « ous avez fait, leur dit-il, du bon et du mauvais, parce que vous avez beaucoup d’intelligence, et que vous êtes imparfaits ; vos oeuvres dureront seulement quelques centaines de millions d’années ; après quoi, étant plus instruits, vous ferez mieux : il n’appartient qu’à moi de faire des choses parfaites et immortelles.» 

Voilà ce que Platon enseignait à ses disciples. Quand il eut cessé de parler, l’un d’eux lui dit : «Et puis vous vous réveillâtes.»


François-Marie Arouet
dit Voltaire

D'après Maurice Quentin de La Tour
(1704-1788)

Voltaire (1694-1778)
(Oeuvres complètes, Garnier, 1877, tome 21)

Fawzi

         De notre disc jockey - Paul Dubé


Avec un peu de retard...

En juin 2008, nous avons inséré dans le Castor™ un enregistrement datant de 1947, diffusé pour la première fois par la firme Columbia en 1951. C'était un extrait d'une comédie musicale américaine plus ou moins méconnu, High Button Shoes - Musique de Jule Styne et Sammy Cahan - dont la première a eu lieu le 9 octobre 1947 et qui a eu un certain succès puisqu'elle a été jouée jusqu'au 2 juillet 1949 aux théâtres suivants : Broadway, New Century et Shubert. 

On l'a reprise cette année (du 8 au 12 mai) au New York City Center et, depuis 2008, avec l'événement surtout de YouTube, on en retrouve de plus en plus d'extraits sur l'Internet.

La version de notre extrait était chanté par son créateur Jack MCauley (1900-1980) qui, au cours de sa carrière, a fait partie de la distribution de pas moins d'une douzaine de comédies musicales entre 1924 et 1952, sa dernière prestation remontant en 1949-1951 dans le rôle de Gus Esmond de Gentlemen Prefer Blondes, de Styne encore, pour la musique, sauf que nous aurions préféré, à ce moment-là, vous faire connaître la version de Louis Armstrong (1964).

La voici, avec exactement 11 ans de retard :

Son Titre ? - I Still Get Jealous. - Chanté par un tout jeune homme de 64 ans, incontestablement le plus grand jazzman de tous les temps, celui que Miles Davis refusait d'écouter parce que, disait-il : «Il avait tout inventé, tout joué.»

Cliquez sur la note : Second

***

Note : pour nos suggestions et enregistrements précédents, cliquez ICI

paul

Lectures

Note :

Les textes qui suivent - et les précédents - ne doivent pas être considérés comme de véritables critiques au sens de «jugements basés sur les mérites, défauts, qualités et imperfections» des livres, revues ou adaptations cinématographiques qui y sont mentionnés. Ils se veulent surtout être de commentaires, souvent sans rapport direct avec les oeuvres au sujet desquelles les chroniqueurs qui les signent désirent donner leurs opinions, opinions que n'endosse pas nécessairement la direction du Castor™ ni celle de l'Université de Napierville.

1 - Christopher Hitchens - And yet... - Simon & Schuster - 2015
(48 autres articles, commentaires ou essais parus entre 1997 et 2012)

Hé oui : 48 autres essais par celui que John Giuffo du Village Voice appelait le plus grand pugiliste verbal américain. - 48 par rapport aux 107 parus dans Arguably que nous avons mentionné le mois dernier, mais 48 qui semblent avoir été choisis avec un plus grand soin parmi tous ceux que Christopher Hitchens, décédé en décembre 2011, a fait paraître de son vivant ; 48, à l'exclusion de deux parus après sa mort, mais dont il avait déjà révisé les textes. - Parmi ces essais, 15 furent des critiques ou plutôt des comptes-rendus de lectures dont deux exceptionnels : l'un sur une biographie de Che Guevara et l'autre sur la correspondance de Rosa Luxemburg, la célèbre militante socialiste et communiste assassinée pour ses critiques acerbes envers le régime allemand, en 1919.

Sur la biographie de Che Guevara (A Revolutionary Life par Jon Lee Anderson - Grove Press, 1997), Hitchens termine son article par ces mots : «En racontant ainsi et une fois pour toutes la véritable histoire de ce personnage légendaire, Jon Lee Anderson a réussi à écrire d'une manière respectueuse et objective, pour lui et pour beaucoup d'autres, un revoir nuancé.» - «Un revoir nuancé !», Quel beau mot ! - C'est le tout premier essai de ce livre de 300+ pages qui, à lui seul, donne le ton à l'ensemble.

La plupart des articles qu'il contient ont paru dans The Slate, The Atlantic et Vanity Fair entre 2005 et 2012 et traitent, parfois avec humour (On the Limits of Self-Improvement, The True Spirit of Christmas, Bah Humbug), souvent avec une lucidité qui dérange (The Politicians We Deserve, Ayaan Hirsi Ali : The Price of Freedom, Orwell's List), mais également avec une presque cruauté divers aspects de la vie et surtout les côtés cachés de certains personnages qui se sont crus au-dessus de tous soupçons (V. S. Naipul, le plus ou moins célèbre auteur originaire de Trinidad, Hillary Clinton, Edward Kennedy...), notamment dans The Case against Hillary Clinton , i.e : The Tall Tale of Tuzla.

Pour cet athée «jusqu'au plus profond de l'âme», les flèches qu'il lance contre toutes les formes de religion sont, dans ce volume, plutôt rares. Pour cela, il faut s'en remettre à God Is Not Great : How Religion Poisons Everything - Twelve/Hachette Book Group - paru en 2007 et heureusement traduit en français (Dieu n'est pas grand) par Ana Nessun, - Éditions Belfond, 2009 -, mais on ne saurait trop recommandé son dernier livre : Mortality - Twelve, 2012, également traduit en français (Vivre en mourant) par Bernard Lortholary, paru chez Climats (Flammarion) en 2013 dont nous avons déjà parlé et cité deux passages, le premier en aout 2017 et le deuxième en octobre 2018.

Qu'est-ce qu'on peut ajouter 'à propos de «...and yet»

Voici ce que Tim Adams du Guardian écrivait :

«[T'is]The last blast from the wayward noncomformist»

«Le dernier souffle d'un imprévisible nonconformiste.»

Pour le reste, pour savoir qui est Christopher Hitchens, s'en remettre aux multiples vidéos que l'on retrouvera sur YouTube. - Notamment dans ses «Best of».

Copernique

P.-S. : Je reviendrai en décembre prochain sur les deux commentaires sur Noël qui font partie de ce volume (une véritable promesse de ma part) car, à eux seuls, ils donnent une idée de la prose caustique que pouvait utiliser Hitchens quand il s'agissait de choses en lesquelles il ne croyait pas. - Un mot, tout de suite ? - D'accord : «Christmas trees, Yule logs, and the rest were symbols of the winter solstice holidays before any birth had been registered in the greater Bethlehem area» («Les sapins, les bûches de Noël et tout le reste étaient des symboles du soltice d'hiver bien avant qu'on enregistrât une naissance dans la grande région de Bethlehem») - [Bah, Humbug]

***

2 - Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon : Mémoires (1691-1723)

Après nous en avoir dit plusieurs mots en janvier puis en mars 2018 et nous l'avoir cité en février dernier, Simon ne nous a plus parlé des Mémoires de Saint-Simon qu'il se disait - il y a déjà plus d'un an - sur le point de relire. La chose m'étant revenu en tête lors de notre dernière rencontre, je lui ai demandé, où il en était. Suit sa réponse.

Copernique

Note :

Les Mémoires de Saint-Simon, écrits dans les années 1739-1749, furent saisis sur ordre du duc de Choiseul en 1760 et ne parurent que sous forme d'extraits entre 1781 et 1790, à Paris et à Bruxelles. - La première édition intégrale du manuscrit intégral fut réalisée sous la Restauration, en 1829-1830, chez A. Sautelet (21 volumes). Des versions semblables parurent chez Delotte, en 1841 et 1854 puis d'une façon plus soignée et annotée par Adolphe Chéruel chez Hachette en 1856 et par Arthur de Boislisle à partir de 1879 (43 volumes publiés entre 1879 et 1923). - De cette édition, plusieurs suivirent jusqu'au début des années cinquante en formats divers (en vingt volumes, chez Jean-Claude Lattès, en 22 chez Jean de Bonnot, etc.) jusqu'à la version basée sur un texte révisé en entier, établi et annoté par Gonzague Truc en sept volumes chez Gallimard (La Pléiade) de 1958 à 1968. Cette édition fut suivi par une autre en 18 volumes présentés par François-Régis Bastide entre 1977 et 1979 chez Ramsay et une deuxième édition chez Gallimard (La Pléiade) sous la direction d'Yves Coirault en huit volumes de 1981 à 1990.

Dans le texte qui suit, Simon se réfère à une version en vingt volumes publiée sur Kindle. Il s'agit de la version Chéruel (1879) sans l'appareil critique quoique - il nous en a informé - il en aurait fait sa première lecture dans les versions (Pléiade) de Gonzague Truc pour le premier volume et la version Ramsay pour le reste.

Cher toi,

J'en suis au milieu du troisième volume et en serai sans doute au début du quatrième au moment où tu liras ceci, sauf qu'à ce rythme-là, j'y serai encore dans six ou même sept ans ! - Fais le compte : 20 volumes contenant, chacun, une vingtaine de chapitres, ça fait 400 chapitres qui, à raison d'un par jour ou d'un par semaine... Or, je ne relis pas Saint-Simon, ni à tous les jours, ni à toutes les semaines. Tout au plus deux ou trois, parfois cinq ou six à la fois, parfois qu'un seul, et vraiment pas régulièrement. - N'oublie pas : c'est une relecture. - Mais voici quelques remarques qui pourraient t'intéresser :

1 - J'imagine que je n'ai pas besoin de te dire qu'on ne relit jamais de la même façon un texte qu'on a  déjà lu. Parfois, on redécouvre des choses qu'on a complètement oubliées ; puis on saute par dessus des passages dont on se souvient encore ou qui ont cessé de nous intéresser ; à d'autres moments, on s'attarde sur un passage plus difficilel ou encore,  on se penche avec un oeil tout à fait différent sur un bout de  phrase, un paragraphe, une longue dissertation. Par exemples, même s'il m'est arrivé plusieurs fois au fil de mes lectures de revenir sur divers descriptions ou portraient dessinés par Saint-Simon, en lisant ne serait-ce que des notes sur d'autres auteurs, j'ai été en mesure récemment de constater que je n'avais jusqu'à présent vraiment pas fait attention à son vocabulaire ou ses tournures de phrases. - Son style, quoi. - C'est à ce style,  entre autres, que j'attache beaucoup d'importance en ce moment et. conséquemment, ce qui me prend un peu plus de temps que prévu.

2 - Saint-Simon est un auteur particulièrement pénible (enfin, presque) à lire, et pour plusieurs raisons :

a) J'y reviens dans un instant mais en premier lieu, il y a sa langue : elle n'est pas tout à fait celle à laquelle on est aujourd'hui habituée ; elle n'est évidemment pas celle des auteurs qui l'ont précédé, mais elle précède celle de Molière ou de Voltaire et certaines formes, certains mots, certaines expressions me font poser des questions sur ce qu'il a vraiment voulu dire ou écrire.

b) L'époque dont il parle est historiquement peut-être significative (quoique j'en doute : ce n'est pas celle de la pré-révolution, celle de Napoléon ou même celle de la Première République), mais elle est décrite d'un point de vue si spécifique qu'on peut se demander pourquoi Saint-Simon a tenu à attacher tant d'importances à ce qui nous semble aujourd'hui avoir été des vétilles : aux nonces du pape qui n'ont pas voulu serrer la main des bâtards de Louis XIV alors que leurs prédécesseurs... aux bancs qu'on a finalement consenti à fournir aux cardinaux alors que, jusque là, ils devaient utiliser des strapontins... et je n'en suis pas à la mission qu'on lui confiera plus tard à la cour d'Espagne...

c) ses obsessions pour le protocole, l'étiquette, les prérogatives de la noblesse, le cérémonial et les rituels de la cour deviennent, à la longue, non seulement irritants, mais ridicules, à nous, pour qui tout cela, trois cents ans plus tard...

3 - Par contre :

a) on s'en rend compte très vite, Saint-Simon - c'est mon opinion - est définitivement un des plus grands portraitistes de tous les temps et de toutes les littératures. Ainsi, si Dickens ou Shakespeare ou même Proust peuvent en quelques mots nous décrire un personnage (quoique mentionner «en quelques mots» dans le cas de Proust...), ce personnage peut prendre une forme, une allure, une façon d'être vu différente d'un lecteur à l'autre sauf que ce n'est pas l'impression que Saint-Simon laisse, j'en suis certain, de ceux auquels il a consacré une page ou deux.

b) sa vision nous donne de son époque un aspect qui, transposée en la nôtre, nous fait réaliser à quel point tous les détails auxquels nous attachons une grande importance sont tout aussi ridicules que ceux qui l'ont préoccupé.

c) sa fascination pour de véritables détails en est, parfois, d'une drôlerie, d'un humour auquel il est difficile d'échapper
.

Ce que je relis surtout :

(Et ce pourquoi je vais continuer à le relire, mais sans hâte, un peu comme j'écoute pour la dixième fois la même quatuor à cordes de Bethoven ou la même sonate de Chopin.)

Il y a d'abord - j'en parlais il y a deux minutes - la langue, le style de Saint-Simon. Les deux sont magnifiques. Plus tard, je te reviendrai sur d'autres points, mais pour le moment, il s'agit de mes intérêts premiers.

Oui, on peut toujours s'habituer (je n'y parviens pas tout à fait) à l'écriture de
«ai» en «oi» (il étoit pour il était, elle avoit pour elle avait) ou certaines formes devenus vétustes. Mais comment ne pas sursauter (je dis bien «sursauter») à des formes ou des mots comme :

  • une assemblée qui se tend (au lieu d'une assemblée qui a tendance à)

  • un esprit... étendue, juste, solide et toutefois fleuri...

  • des vapeurs gagnèrent son esprit

  • un air de bénignité

  • une modestie épiscopale

  • résister pour le plaisir et de le pouvoir (note le «de»)

et de spectaculaires (pour l'époque) des choses comme celles-ci :

  • par contre, ainsi qu'ils le voulurent

  • quoiqu'elles eussent pu, elles ne lui eussent jamais nui.

Et que puis-je ajouter à ce qui me laisse souvent perplexe, mais de bonne humeur en même temps, quand je lis (je pastiche, mais j'exagère à peine) que :

  • «La Duchesse de Passementerie, fille du Baron de la Fermentaye-en-Laye, s'est envoyé en l'air avec le fils du deuxième lit du Comte de La Michelerie-de-Carcassonne pour se venger de son mari, le Baron Palamède de Bourg-sur-Bresse, vicomte de L'Écluse et du Jardin de Sainte-Foy-en-Tresse, prince de Montesquiou-Chimay de la Grange et damoiseau de Montargis, d’Oléron, de Carency, de Viazeggio et des Dunes...»

Saint-Simon fut, sans le savoir, un grand humoriste. 

Simon 

P.-S. : Je ne sais pas si je les ai déjà mentionnés, mais pour ceux qui n'auront pas le temps (ou la patience ?) de lire les trois à six mille pages des Mémoires de Saint-Simon (tout dépend de l'édition), j'aimerais suggérer deux livres qui pourraient les encourager :

Saint-Simon par lui-même de François-Régis Bastide, celui qui a veillé à l'édition Ramsey, paru dans la collection «Écrivains de toujours» chez Seuil en 1967. 

et

Tout Saint-Simon sous la direction de Marie-Paule de Weerdt-Pilorge paru chez Bernard Laffont en 1977.

Le premier fait partie d'une collection publiée dans les années soixante et soixante-dix et de ce fait sera peut-être plus difficile à trouver, mais de cette collection (d'une centaine de volumes), je n'en ai jamais lu un mauvais et celui-ci est particulièrement admirable, surtout dans sa section où il met en lumière la célèbre réflexion de Saint-Beuve qui disait de Saint-Simon qu'il était un Tacite «à la Shakespeare». 

Le deuxième, toujours disponible, est une publication à plusieurs auteurs où il est question d'à peu près tous les aspects de Saint-Simon, et y sont incorporées de nombreuses citations (celles sur l'abbé Dubois s'étiendent sur quinze pages !), le tout classé sous la forme d'un dictionnaire et dont le titre, Tout Saint-Simon, est bien mérité.

***

3 - Ce qu'on peut lire, quand même, dans un mois...
Du gallinacée à l'équidé» comme dit souvent Hermy, alias Monsieur Pérec)

Tout ce qui suit est la conséquence (il faut bien blâmer quelqu'un pour la confusion qui se dégage de certains de ses écrits) d'un mot de notre ami en face du parc Lafontaine (à Montréal) qui nous a fait parvenir une citation du regretté André Gide.

J'ai fouillé dans ma bibliothèque pour trouver le livre qui allait lui démontrer que Gide avait tort et de là...

Vous verrez.

Attention :

Vous n'êtes pas obligé de tout lire. - Déjà, qu'il me sera déjà assez difficile d'avoir à me relire...

    D'abord une note :

La liste des livres mentionnés dans le texte qui suit se trouve à la fin.

*

       Incipiam

Dans sa préface à sa traduction de Sesame and the Lilies de Ruskin, Proust mentionne qu'«il n’y a peut-être pas de jours de notre enfance que nous ayons si pleinement vécus que ceux que nous avons cru laisser sans les vivre, ceux que nous avons passés avec un livre préféré» ajoutant que : [cette lecture] «gravait [...] en nous un souvenir tellement doux [qu'] il nous arrive encore aujourd’hui de feuilleter ces livres d’autrefois...» - C'est une chose qu'un lecteur devenu adulte ne contestera jamais surtout s'il n'a jamais perdu l'habitude de lire... Ses souvenirs [à ce lecteur] s'étendront non plus seulement sur son enfance, mais sur toute une vie.

C'est ma réaction habituelle - je veux dire celle que je ressens quand ce phénomène se manifeste en moi car, comme tu le sais, j'ai toujours été un incorrigible lecteur - est justement composée de ce type de souvenirs qui, souvent, datent de plusieurs années auparavant, mais elle découle non seulement du contenu d'un livre, mais également de sa forme, de sa couleur, jusqu'à son poids qui, ensemble, me rappellent des moments où  j'avais eu vingt, trente, quarante ans.

Malheureusement, avec les années, le livre auquel je me mets tout à coup à penser a souvent été remplacé, perdu, prêté sans avoir été retourné ou tout simplement oublié derrière de plus récents et quand je me mets à lsa recherche pour répondre à une question qu'on m'a posée ou tout simplement pour m'assurer que ma mémoire est encore fidèle, je me retrouve décontenancé par son absence. Et décontenance, je le fus, récemment, quand, pour répondre à l'ami précité, je n'ai pas retrouvé dans ma bibliothèque un de trois livres qui s'y sont trouvés pendant plus de quarante ans, que j'ai vus, déplacés et consultés des centaines de fois.

Celui de ces trois volumes (contenus dans un boitier unique) était The Perfect Wagnerite de George Bernard Shaw qui accompagnait la première édition (en 33 tours) du Ring de Wagner sous la direction de Georg Solti enregistré entre 1958 et 1965 (je le mentionne pour en préciser l'année) et la raison pour laquelle j'étais à sa recherche, c'était pour répondre à cet ami qui m'avait, de Gide, fait parvenir la citation suivante :

«J'ai la personne et l'oeuvre de Wagner en horreur ; mon aversion passionnée n'a fait que croître depuis mon enfance. Ce prodigieux génie n'exalte pas tant qu'il n'écrase. Il a permis a quantité de snobs, de gens de lettres et de sots de croire qu'ils aimaient la musique, et à quelques artistes de croire que le génie s'apprenait. L'Allemagne n'a peut-être jamais rien produit à la fois d'aussi grand ni d'aussi barbare.» (Journal du 25 janvier, 1908)

Note : La citation ci-dessus est en page 259 du Journal de Gide (voir la bibliographie à la fin). Elle est précédée du texte suivant : «Enquête du Berliner Tageblat. - Il s'agit à l'occasion du XXVe anniversaire de la mort de Wagner, de pressentir les "sommités artistiques et intellectuelles de toute l'Europe pour avoir leur opinion sur l'influence du wagnérisme, spécialement en France. Je réponds...»

Oh, j'aurais pu pour lui répondre que tous les goûts sont dans la nature, que ce qui est sublime pour l'un ne vaut rien pour un autre, que Wagner a été un de ces compositeurs auxquels il faut s'habituer, etc., etc. - tous les poncifs, quoi... - mais j'ai préféré référer cet ami à quelqu'un qui a su, contrairement à Gide (*), apprécier Wagner dès son arrivée sur la scène musicale : George Bernard Shaw.

(*) Gide, d'ailleurs ne rementionne Wagner - et que du bout des lèvres - qu'une fois ou deux, par la suite. Et ce jusqu'à sa mort, 43 ans (sic) plus tard.

George Bernard Shaw ?

Oui, George Bernard Shaw (1856-1950),  surtout connu pour Pygmalion (1912) dont on a tiré plusieurs films (Erich Engel, 1935 - Ludwig Berger, 1937 - Anthony Asquith, 1938 - George Cukor, 1964 - Alan Cooke, 1983...) et qui, même si on ajoute à cette pièce plus d'une cinquantaine d'autres, que l'on mentionne qu'il fut un scénariste très appécié (un Oscar), qu'il a, en outre, écrit des centaines d'articles divers, des préfaces et des essais où cours desquels il a développé des thèmes révolutionnaires ou à tout le moins moins controversés pour son époque et qu'il a été le récipiendaire du prix Nobel de Littérature en 1925, demeure trop souvent méconnu dans ce qu'il a excellé par dessus tout : celui d'être un critique musical de tout premier ordre.

Faute de retrouver son Perfect Wagnerite (comme vous pouvez le constater, je ne perds pas trop, trop le fil de mon idée), je me suis rabattu sur un autre volume que j'ai retrouvé facilement, celui-là, dans ma collection de «Bouquins» qui est toujours  bien en évidence parce que souvent je consulté contuinuellement ses volumes : Bernard Shaw, écrits sur la musique 1876-1930.

Il s'agit d'un volume fort encombrant (près de 1 500 pages) où tous les articles qu'il contient ont été classés en ordre chronologique indexés par noms, pièces musicales, concerts et ainsi de suite dans une soixantaine de pages à la fin (Wagner en prend deux à lui tout seul) et dans lequel j'ai retrouvé, en entier, le Perfect Wagnerite précédé de ses quatre préfaces (1898, 1901, 1913 et 1923) mais dans un format qui m'a rendu sa lecture difficile. - À lire, si possible dans l'une des versions mentionnées à la fin.

Quoiqu'il en soit, voici, en guise de riposte à Monsieur Gide, la ou les raisons pourquoi Shaw n'était pas du tout de son opinion, 

(Section du Parfait Wagnérien intitulée «le XIXe siècle».)

le tout, en réponse à notre ami du début :

En aparté :

Pas très brillant ce qui précède, non ? Et pourtant, c'est par un type qui, à l'aube de ces études secondaires a gagné le premier prix d'une composition française...

Les citations :

   No. 1

«Quand Wagner nacquit, en 1813, la musique venait de devenir le plus étonnant, le plus fascinant, le plus miraculeux des arts au monde. Le DON JUAN de Mozart avait appris a toute l'Europe musicale les enchantements de l'orchestre moderne et la parfaite adaptabilité de la musique aux besoins du dramatiste. 

«Beethoven avait montré comment les poèmes sans paroles qui expriment la passion et émanent d'hommes qui, comme lui, n'ont aucune maîtrise exceptionnelle des mots, peuvent être écrits en musique sous forme de symphonies. Ce n'est pas que Mozart ou Beethoven eussent inventé ces applications de leur art. Mais ils étaient les premiers dont les oeuvres montrèrent clairement que la puissance dramatique et subjective des sons était assez captivante pour exister par elle-même, tout à fait en dehors des structures musicales décoratives, dont jusqu'alors, elle n'avait été qu'un simple trait. Après les finales de FIGARO et de DON JUAN la possibilité du drame musicale moderne était montrée à tous.

«Après les symphonies de Beethoven, il était certain que la poésie qui est trop profonde pour être exprimée en paroles, n'est pas trop profonde pour l'être en musique. Il était certain aussi que les mouvements de l'âme, depuis le plaisir le plus grossier jusqu'à l'aspiration la plus élevée, peuvent faire des symphonies, sans l'aide d'airs de danse.»

No. 2

«Wagner était le musicien littéraire par excellence. Il ne pouvait pas, comme Mozart et Beethoven, produire des constructions décoratives de sons, indépendamment d'un sujet dramatique ou poétique, parce que cet art n'était plus nécessaire au but qu'il poursuivait et par suite il ne le cultivait pas. De même que Shakespeare, comparé à Tennyson, semble avoir [eu] un talent exclusivement dramatique, de même parait exactement Wagner comparé à Mendelssohn. D'autre part, Wagner n'avait pas besoin, pour ses librettos à mettre en musique, de s'adresser à une littérature mercantile de troisième ordre. II composait lui-même ses poèmes dramatiques et donnait ainsi à l'opéra une intégrité dramatique et rendait articulée, la symphonie. Une symphonie de Beethoven, sauf la partie articulée de la neuvième, exprime des sentiments nobles, mais pas de pensée. Elle a des passions, mais pas d'idées. Wagner ajouta la pensée et produisit - la musique dramatique.

«L'opéra le plus sublime de Mozart, son ANNEAU si je puis dire, c'est LA FLUTE ENCHANTEE, libretto qui n'en est pas plus mauvais parce que, comme L'OR DU RHIN, il apparaît aux spectateurs superficiels comme un simple conte de Noël, mais est le produit d'un talent incommensurablement inférieur à celui de Mozart. Le libretto de DON JUAN est commun et trivial. Sa transfiguration par la musique de Mozart peut être une merveille; mais personne n'osera soutenir que de telles transfigurations, toutes séduisante qu'elles soient, puissent être aussi satisfaisantes que le chant ou le drame dans lesquels le musicien et le poète sont au même niveau. Ici donc, nous avons le secret de la prédominance de Wagner comme musicien dramatique. Il écrivit les poèmes de même qu'il composa la musique de ses «pièces de festival», comme il les appelait.

«Jusqu'à un certain point, au cours de sa carrière, Wagner eut à supporter la peine d'entreprendre deux arts au lieu d'un seul. Depuis l'âge de 20 ans Mozart savait son métier de musicien sur le bout des doigts, parce qu'il avait fait un pénible apprentissage de ce métier, et de ce métier seul. A 35 ans, Wagner était fort loin d'avoir atteint pareille maîtrise. Il nous a dit lui-même, en effet, qu'il avait dépassé l'âge auquel mourut Mozart, quand il put composer avec cette spontanéité complète d'expression musicale qu'on ne peut atteindre que si on s'est entièrement libéré de toutes les préoccupations
des difficultés des procédés techniques. 


«Quand arriva à ce moment-là, il n'était pas seulement le musicien consommé qu'était Mozart, mais il était en outre un poète dramatique et un auteur d'essais critiques et philosophiques, qui exerçait une influence considérable sur son siècle. Le signe qui prouva qu'il était devenu un musicien consommé fut, à la fin, son habileté à jouer de son art, car, à ses oeuvres déjà fameuses dans le drame sentimental, il ajouta l'art gai de la comédie, dont les plus grands maîtres comme Mozart et Molière, sont bien plus rares que les tragédiens et les sentimentaux.»

Quoi ajouter d'autre ?

Et, pour en revenir à Gide voici ce que Cocteau disait de lui dans Mes montres sacrés (lire au moins le dernier paragraphe !) :

ANDRÉ GIDE
On ne peut se permettre...

On ne peut se permettre de juger André Gide en ligne droite. Il fut méandre, et c'était la manière de sa ligne d'être droite. Car l'inflexibilité d'une ligne de cette sorte ne se présente pas géométriquement, mais grâce à l'étrange géométrie et aux perspectives singulières de l'âme humaine.

Arthur Cravan, qui fut à l'origine de Lafcadio, nous rapporte qu'après la visite de Gide sur les quais de la Seine, il le guetta par la fenêtre. Gide, écrit-il, avait le choix entre la merveilleuse vitrine d'une boutique de coquillages et celle d'un bouquiniste. Il hésita et se décida pour le bouquiniste. Cette note lafcadienne nous présente Gide toujours partagé entre la vie et les textes qui l'exaltent. En voyage, Gide chasse les insectes, les collectionne, herborise, se baigne, entre deux actes de Shakespeare ou deux chapitres de Goethe.

La voix d'un homme me renseigne beaucoup. Lors de la mort de Proust, c'est sa voix que j'étudiai dans la Nouvelle Revue Française. Celle de Gide montait, descendait, glissait, s'amincissait, s'enflait, musicale et tortueuse. Il savait y mettre en relief quelque terme, sur lequel, comme un peintre, il appuyait la touche blanche de l'éclairage, le point que les portraitistes chinois font payer si cher, lorsqu'ils les placent, le dernier jour de pose, dans l'oeil du modèle. Parfois, il semblait que les mots fussent halés par lui des profondeurs d'une citerne.

Mes rapports avec Gide ont été de malice et de grâce. Il me taquinait et m'aimait, comme en témoignent ses lettres intimes en marge d'un journal où il se montre souvent fort injuste à mon adresse. Il fallait le comprendre, ne pas se blesser stupidement des boutades d'une susceptibilité à vif qu'il tenait de jeanjacques et qui peuvent surprendre chez un héritier des encyclopédistes. Ce mélange compose toute la beauté d'un homme qui se tourne autant contre lui que contre les autres. Il juge et se juge d'une plume unique et ne craint jamais de se contredire, n'étant pas esclave d'un engagement extérieur à sa personne. De ce perpétuel échange entre un vieux maître et un jeune élève, entre le fort en thème et le cancre prestigieux de la classe, émane un parfum qui déroute l'analyse, sauf si le coeur s'en mêle. Nos anicroches sont bien anciennes et Gide m'en parlait comme de vieilles disputes de famille, l'année dernière, pendant ses longues haltes dans ma maison de Seine-et-Oise. Il désirait que je tirasse un film d'Isabelle. Je lui conseillai de viser plus haut et de tenter le découpage des Caves. Rien de plus jeune ni de plus désinvolte que ce spectacle des Caves à la Comédie-Française. On y retrouvait la joie de notre enfance aux féeries du Châtelet et à ce Tour du monde en quatre-vingts jours où nous eûmes la révélation du théâtre. Pas l'ombre de pédantisme. Pas l'ombre de faux-sérieux. A peine l'ombre d'un message, atténué par le fait que Lafcadio fit école et que ses disciples ressemblent aux illuministes qui voulurent porter les méthodes de Luther à l'extrême.

Jadis Gide me montra les adorables cimetières de Varengeville et de Cuverville. Il m'y entretenait, sans crainte, de la mort, et, avant mon départ pour l'Egypte, il me déclara qu'il « s'amusait » de la grimace que ses crises donnaient à sa bouche. Il me surprit par une bravade qu'il opposait aux misères physiques. Le mélange dont j'ai parlé, il le poussait jusqu'à mélanger prudence, crainte et parfaite imprudence et méconnaissance du danger que les enfants possèdent. Une flamme joyeuse, enfantine, dominait sa cendre et sa braise. On la voyait dans son regard, ce regard dont la vrille pénétrait toute chose malgré l'âge et ses lassitudes.

La dernière vision que j'ai de Gide est celle d'un Erasme à calotte noire, en robe de chambre, au centre de livres et d'objets pensifs, auprès d'un piano où il se reposait d'exprimer en laissant Chopin s'exprimer à sa place. Nul mieux que Gide ne prouve que toute oeuvre grave est un auto-portrait et que la ressemblance avec celui qui peint est plus importante que la ressemblance avec le modèle, employé par l'artiste au seul titre de prétexte.

Jean Paulhan m'écrit : «
A peine mort, Gide s'est pétrifié, est exactement devenu de pierre. » J'y reconnais le privilège des souverains que la mort change en gisants, et qui voyagent sur les eaux profondes.

*

Et puis quoi ?

Si j'ai lu d'autre chose au cours du mois dernier ? Oui. Suite anglaise de Julien Green, mais je vous en reparlerai le mois prochain.

Et une partie de Terre lointaine...

Simon

Bibliographie :

Marcel Proust
Sur la lecture
Préface de la traduction de 
Sesame and The Lilies de John Ruskin (1865)
(Sésame et les lys - Mercure de France, 1906)

Georges Bernard Shaw
The Perfect Wagnerite
Londres (1898) - Time-Life(1966) - Dover Books (2010)
Traduit en français par Augustin et Henriette Hamon
Le parfait Wagnérien
Éditions Montaine (1933) - Éditions d'aujourd'hui (1975)

André Gide
Journal 1889-1939
La pléiade, 1951

Bernard Shaw
Écrits sur la musique 1876-1950
Bouquins, Robert Laffont, 1994
(À noter que dans ce volume les traductions sont de Béatrice Vierne, Anne Chataway et Georges Liébert)

Jean Cocteau
Mes monstres sacrés
Encre Éditions, 1979

Julien Green
Suite anglaise
Plon, 1972
Terre Lointaine
Oeuvres complètes, volume V, La Pléiade, 1977
(Autobiographie, 1919-1922, Grasset, 1966)

L'extrait du mois


Avantages du fromage comme compagnon de route

Un de mes amis acheta un jour une paire de fromages à Liverpool. De merveilleux fromages, moelleux et bien faits, d’un fumet d’une puissance de deux cents chevaux-vapeur, et qu’on aurait pu garantir capable de porter à trois milles et de foudroyer son homme à deux cents mètres. Je me trouvais alors à Liverpool, et mon ami me demanda si cela ne me dérangerait pas de les emporter avec moi à Londres, car lui-même ne rentrerait pas avant un jour ou deux, et il ne présumait pas que ces fromages eussent une espérance de vie beaucoup plus longue.

«Mais, avec plaisir, cher ami, lui répondis-je. Avec plaisir.»

J’allai chercher les fromages, puis je pris un fiacre pour me rendre à la gare. C’était une vieille guimbarde, tirée par une vieille carne somnambule, cagneuse et poussive, que son propriétaire, dans le feu de la conversation, qualifia par mégarde de cheval. Je posai les fromages sur l’impériale, et nous partîmes à une allure qui eût rendu hommage au plus rapide des rouleaux compresseurs construits jusqu’à ce jour ; et tout alla d’abord aussi gaiement qu’un glas d’enterrement, jusqu’à ce que nous eûmes tourné le coin. Là, le vent apporta une bouffée fromagère en plein sur notre pégase. La rosse se réveilla net, poussa un hennissement d’effroi, et s’élança à cinq kilomètres à l’heure. Le vent continua de souffler dans sa direction, et nous n’avions pas atteint le bout de la rue, que nous filions à près de sept à l’heure, laissant sur place infirmes et grosses vieilles dames.

Deux porteurs, plus le cocher, ne furent pas de trop pour maîtriser l’animal, à l’arrivée en gare ; je doute même qu’ils y fussent parvenus, si l’un des hommes n’avait eu la présence d’esprit de lui plaquer son mouchoir sur les naseaux, et de brûler du papier d’Arménie.

Je pris mon billet, et gagnai avec mes fromages le quai d’un pas royal ; les gens s’écartaient respectueusement à mon passage. Le train était bondé, et je dus monter dans un compartiment où s’entassaient déjà sept personnes. Un vieux monsieur grincheux protesta. Je l’ignorai, déposai mes fromages dans le filet, puis me fis une place non sans le gratifier d’un gracieux sourire, et déclarer que nous avions une chaude journée. Quelques minutes passèrent, et le vieux monsieur commença à se tortiller.

«Ça sent le renfermé, ici, dit-il.

Vraiment étouffant.», ajouta son voisin.

Et tous deux de se mettre à renifler. Au troisième reniflement, la respiration coupée, ils se levèrent sans un mot et sortirent. Puis une grosse dame se leva à son tour et affirma bien fort qu’il était honteux de manquer ainsi de respect à une honnête mère de famille. Ramassant son sac et ses huit paquets, elle sortit à son tour. Les quatre voyageurs restants gardèrent un air stoïque jusqu’au moment où un personnage à l’air solennel, assis dans un coin, et qui, d’après son costume et son aspect général, semblait appartenir à la corporation des pompes funèbres, dit que l’odeur lui rappelait celle des macchabées. Sur quoi, les trois autres voyageurs bondirent en même temps vers la portière, se bousculant à qui mieux mieux.

Je souris au funèbre personnage, et lui dis que, vraisemblablement, nous aurions le compartiment pour nous seuls. Il eut un rire aimable et me répondit que certaines personnes faisaient bien des chichis pour peu de chose. Mais son expression se décomposa curieusement en cours de route, et, quand nous arrivâmes à Crewe, il me parut si déprimé que je l’invitai à venir prendre un verre. Il accepta, et nous nous frayâmes un chemin jusqu’au buffet, où nous criâmes, tambourinâmes et fîmes de grands signes avec nos parapluies pendant un quart d’heure. Finalement, une jeune femme arriva et nous demanda si nous désirions quelque chose.

« Que prendrez-vous ? demandai-je à mon compagnon.

Une triple dose de cognac, mademoiselle, et du sec, s’il vous plaît !»

Il vida son verre et s’éloigna tranquillement pour monter dans une autre voiture, ce que j’estimai de la dernière grossièreté.

À partir de Crewe, le train avait beau être bondé, j’eus le compartiment pour moi seul. À chaque arrêt en gare, les gens, à la vue de tant d’espace inoccupé, se précipitaient. «Par là, Maria. Viens vite, il y a plein de places !» «Hé, Tom ! installons-nous ici !» Et tous accouraient, chargés de lourdes valises, se bousculant pour monter les premiers. Quelqu’un ouvrait la portière, escaladait le marchepied… pour tituber et retomber incontinent en arrière dans les bras de celui qui le suivait. Tous se risquèrent, respirèrent et prirent la fuite avant de se bousculer de nouveau dans d’autres voitures ou payer la différence et monter en première.

Je descendis en gare d’Euston et portai les fromages chez mon ami. Quand sa femme entra dans la pièce, elle s’immobilisa, humant l’air. Puis elle me demanda : «Qu’est-ce que c’est ? Ne me cachez rien, même le pire.

Ce sont les fromages, répondis-je. Tom les a achetés à Liverpool, et m’a prié de les rapporter chez vous.»

J’ajoutai que j’espérais bien qu’elle comprenait que je n’étais pas responsable de cet achat. Elle m’assura qu’elle ne l’ignorait pas, mais qu’elle aurait une conversation sérieuse avec Tom à son retour.

Mon ami fut retenu à Liverpool plus longtemps qu’il ne l’avait prévu. Trois jours plus tard, il n’était pas encore rentré, et sa femme vint me rendre visite.

«Que vous a dit Tom au sujet des fromages ?» me demanda-t-elle.

Je répondis qu’il avait recommandé de les tenir en lieu frais et que personne ne devait y toucher.

«Personne ne risque de les toucher, dit-elle. Il ne les a donc pas sentis ?»

J’étais persuadé du contraire, et j’ajoutai qu’il paraissait tenir beaucoup à ces fromages.

«Croyez-vous qu’il serait très contrarié si je payais quelqu’un pour m’en débarrasser et aller les enterrer quelque part ?»

Je lui répondis qu’il en perdrait à jamais son sourire.

Une idée lui vint. «Cela vous gênerait-il de les lui garder ? me demanda-t-elle. Je les ferais porter chez vous.

Madame, répliquai-je, l’odeur du fromage ne me déplaît pas, et je conserverai à jamais un excellent souvenir du voyage que j’ai fait l’autre jour en leur compagnie depuis Liverpool, mais, voyez-vous, dans ce monde, il ne faut pas oublier ses semblables. La dame qui me fait l’honneur de m’accueillir sous son toit est veuve, et, autant que je sache, peut-être même orpheline. Elle a une manière forte, et j’ajouterai éloquente, de s’opposer, comme elle dit, à ce qu’on "se moque d’elle". Or, la présence de ces fromages dans sa maison lui donnerait précisément l’impression, j’en suis persuadé, qu’on "se moque d’elle". Et il ne sera pas dit que je me serai moqué de la veuve et de l’orpheline.

Eh bien, dans ce cas, dit la femme de mon ami, se levant, je n’ai plus qu’à emmener les enfants à l’hôtel et attendre que ces fromages soient mangés. Je me refuse à vivre plus longtemps sous le même toit qu’eux.»

Elle tint parole, laissant la maison aux soins de la femme de ménage, laquelle, lorsqu’on lui demanda si l’odeur ne l’importunait pas trop, répondit, ingénue : «Quelle odeur ?» Invitée peu après à mettre le nez sur la chose et à renifler fort, elle déclara qu’elle percevait à présent «comme un léger parfum de melon !». D’où l’on conclut qu’elle ne courait aucun risque notable à vivre dans la sus-décrite atmosphère. On l’y laissa donc sans regret.

La note de l’hôtel s’éleva à quinze guinées ; et mon ami, calculs faits, constata que les fromages lui avaient coûté huit guinées la livre. Il ajouta qu’il était très friand de fromage, mais qu’un tel penchant dépassait par trop ses moyens, et il décida par conséquent de s’en débarrasser. Il les jeta dans le canal, mais dut les repêcher, à la suite des plaintes des riverains, qui prétendirent éprouver des faiblesses. Après quoi, il les abandonna par une nuit noire dans le cimetière de la paroisse. Mais le fossoyeur les découvrit, et cria au scandale, prétendant qu’on avait voulu lui enlever son gagne-pain en réveillant les morts.

Mon ami s’en débarrassa enfin en les emportant jusqu’à une station balnéaire, où il les enterra sur la plage. Le lieu en acquit une grande réputation.

Les touristes disaient qu’ils n’avaient encore jamais remarqué combien l’air y était piquant, si bien que malades des bronches et grands anémiques y accoururent en foule pendant des années. 

Jérome K. Jerome

Trois hommes dans un bateau (titre original : Three Men in a Boat - J. W. Arrowsmith, Londres, 1889) - Traduction : Henri Bouissou - Firmin-Didot, Paris, 1894. 

Le courrier


Mlle Michèle Whittaker - Trois-Rivières, Québec

  • Dogville - Lars Von Trier (2003)

  • À bout de souffle - Jean-Luc Goddard (1960)

  • Tokyo Story - Yasujiro Ozu (1953)

  • Enter the Void - Gasper Noé (2009)

  • From Dusk Till Dawn - Robert Rodriguez (1996)

  • Psycho - Alfred Hitchcock (1960)

  • L'année dernière à Marienbad - Alain Resnais (1961)

  • Jeanne Dielman, 23 Quai du Commerce, 1080 Bruxelles - Chantal Akerman (1975)

  • Le charme discret de la bourgeoisie - Luis Bunuel (1972)

  • Le miroir - Andrei Tarkovsky (1975)

M. Lucien Jourdan - (De passage) à Les Escoumains, Québec

Kodak, Excite (AskJeeves, AOL, Yahoo, AltaVista, Bing, etc.). Blockbuster, Nokia, RadioShack et  Xerox (Alto).

M. Leslie Frankell - Aberdeen, Scotland

Rabelais : 1494-1553 - Montaigne : 1533-1684 - Shakespeare : 1564-1616 - Corneille : 1606-1684 - Molière : 1622-1673 - Racine : 1639-1699.

Sir Edmund Crochet - Worthing, Sussex

Simon Popp vous le confirmera, car il en est convaincu, les femmes mentent rarement ; «...du moins beaucoup moins que les hommes», dit-il. - Au bout d'une demi-heure, il ajoutera : «Suggestio falsi, suprression veri». Ce qui signifie, à peu près qu'elles ne démenteront jamais une rumeur et qu'elles considèrent dire toute la vérité comme étant falcultatif.

M. Peter Grint - Terre-haute, Indiana

Alburquerque, New Mexico ; Shereveport, Louisiana ; Albany, Georgia ; Homestead, Florida ; Little Rock, Arkansas ; Baltimore, Maryland ; Memphis, Tennessee ; St-Louis, Missouri ; Detroit, Michigan ; Wilmington, Delaware.

Mme Eleanor Rendell - Montgomery, Alabama

À ne pas manquer cette semaine :


(c) The New Yorker

Dédicace


Cette édition du Castor est dédiée à :

Rosa Luxemburg
(Née en 1871 - Assassinée en 1919)

«La vraie liberté est de pouvoir penser différemment.»


Le mot de la fin


«Et croyez-vous qu'à des gens comme vous,
  D'esprit véreux, frustrés, fanatiques,
  Dieu a donné un secret qu'il me cache ?
  Eh bien qu'importe... Croyez donc cela aussi !
»

- Omar Khayyam (Les quatrains)

Addendum


À propos des dix commandements (mois dernier)

Pour les différences, Simon Popp suggère les passages suivants :

Exode : 20:10 - 32:19 - 34:1 - 34:10 à 26
Deuteronome : 4:13 - 24:12 - 31:24 à 26 - 24:27

Attila, le roi des Huns de Corneille

Voic ce qu'en disait l'écrivain Robinet à Madame, en 1667 :

Et que d'un roi les plus mal né
D'un héros qui saignait du nez
Il a fait, malgré les critiques
Le plus beau de ses dramatiques.

Ce à quoi répondait Boileau :

Après l'Agélisas
Hélas !
Mais après l'Attila
Holà !

Nous y avons, quand même, trouvé ceci :

Les femmes qu'on adore usurpent un empire
Que jamais un mari n'ose ou ne peut dédire...

et

Mais l'esclavage d'une haute naissance
Me tient dans l'impuissance...

La direction

Autres sites à consulter 



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